L’homme transformé (récits d’angoisse)

CARD Orson Scott

Article publié le lundi 24 décembre 2007 par Cyrallen

Quatrième de couverture :

Avec l’Homme transformé (récits d’angoisse), commence la publication en quatre volumes des nouvelles d’Orson Scott Card, un genre où le créateur d’Alvin et d’Ender excelle particulièrement.

Récits d’angoisse plus que de terreur, car "des trois formes de la peur l’angoisse est la plus forte : c’est cette tension, cette attente qui naît quand on sait qu’il y a quelque chose à craindre mais qu’on a pas encore identifié l’objet de cette crainte."

Ainsi :
"Je n’écris pas d’histoires d’horreur. C’est vrai, il arrive à mes personnages des évènements désagréables, voire terribles, mais je ne vous les montre pas en technicolor. Je n’en ai pas besoin et je n’en ai pas envie parce que, pris par l’angoisse, vous imaginerez bien pire que tout ce que je pourrais inventer."

L’avis de Cyrallen :

Ces nouvelles sont, comme souvent dans un recueil, inégales, mais dans l’ensemble elles se laissent lire de façon très agréable. Ce sont plus des nouvelles fantastiques que de la science-fiction, mais l’ensemble reflète bien le style de l’auteur, proche de ses personnages, jouant sur le registre de l’angoisse et de l’interrogation face aux puissances de la nature.

J’apprécie tout particulièrement l’introduction et la postface qui donnent des éléments de compréhension sur l’auteur et sur sa façon d’écrire en général, toujours aussi fluide.

Certaines nouvelles peuvent être assez troublantes, comme dans Souvenirs de ma tête où Card fait rédiger par son personnage un testament post-mortem…

Dans Les Euménides dans les toilettes du quatrième, l’angoisse surgit d’une situation tout à fait extraordinaire, simplement (presque trop, mais terriblement inquiétante !) et très efficacement : une étrange créature ressemblant à un nourrisson-sangsue surgit sans crier gare pour harceler le héros, tout comme devrait le faire sa culpabilité inexistante.

Avec Exercices respiratoires, vous n’écouterez plus jamais respirer ceux qui vous entourent de la même façon, je vous le garanti… Proprement effrayant, court mais terriblement efficace.

L’homme transformé et le roi des mots (qui, comme l’explique le traducteur, est un jeu de mots entre The Changed Man and the King of Words - l’homme transformé et le roi des mots - et The Hanged Man and the King of Swords - le Pendu et le Roi d’Epée - deux lames du tarot) est peut-être la moins réussie des nouvelles : la chute tombe un peu à plat alors que tout s’enchaîne très bien pendant la nouvelle. Dommage.

Temps morts est un histoire de voyage dans le temps, où des adolescents du futur d’amusent à des jeux cruels et décadents sur un malheureux conducteur appartenant à notre époque.

Enfants perdus est enfin la nouvelle qui laisse le plus songeur, étant donné la façon dont elle est amenée, très autobiographique comme le souligne Card… à lire, je ne peux en dire plus sans risquer de vous l’éventer.

- Introduction, par l’auteur
- L’homme transformé et le roi des mots
- Les Euménides dans les toilettes du quatrième
- Quietus
- Exercices respiratoires
- Commerce de gros
- Temps morts
- Jeux sans frontières
- Les chants du sépulcre
- Contrainte préalable
- Souvenirs de ma tête
- Enfants perdus
- Postface, par l’auteur

Extraits :

1- Je suis incapable de regarder un film d’horreur ou de suspense au cinéma. J’ai essayé, mais l’angoisse devient vite trop forte ; l’écran est trop grand, les personnages trop réels. Au bout d’un moment, je dois quitter mon fauteuil et rentrer chez moi : je n’en peux plus.

Et vous savez où je les regarde, finalement, ces films-là ? Chez moi, sur le câble. La petite lucarne est beaucoup plus rassurante, placée au milieu de mon environnement familier ; et quand ça devient trop insupportable, je peux toujours zapper sur une rediffusion de Dick van Dyke, de la Petite Maison dans la prairie ou d’un navet absolu des années trente en attendant de me calmer et de revenir voir comment la situation a évolué.

Ca s’est passé comme ça pour Alien et Terminator : je ne les ai jamais vus d’un bout à l’autre. Je me rend bien compte qu’en réagissant ainsi je pervertis le dessein du réalisateur, qui est une narration linéaire ; mais, avec la télécommande, regarder la télévision est devenu un art participatif : je suis désormais effectuer un redécoupage des films que je juge trop angoissants. Pour moi, L’Arme fatale est beaucoup plus agréable entrelardé d’extraits des Nuits blanches d’Ibiza et des Animaux du monde.

2- Pourquoi, étant décédé, me donné-je la peine de t’écrire ? Si je n’ai pas jugé utile de m’exprimer avant de me tuer, peut-être aurais-je dû m’en tenir à cette décision après la mort. Toutefois, ce n’est qu’après avoir exécuté mon projet que je me suis trouvé avoir quelque chose à te dire ; dès lors, l’écriture devenait la seule solution, l’élocution ordinaire étant inaccessible à celui chez qui manquent larynx, bouche, lèvres, langue et dents. Tous mes instruments phonatoires se sont éparpillés sur le placoplâtre ; j’ai réalisé la mutité absolue.

Tu t’étonnes que je continue à mouvoir mes bras et mes mains après la disparition de ma tête ? Moi pas : mon cerveau était débranché de mon corps depuis des années et toutes mes actions étaient devenues des habitudes ; les stimuli remontaient les nerfs jusqu’à la moelle épinière et n’allaient pas plus loin ; quand tu me disais bonjour le matin ou que, la nuit, tu me bassinais de tes commentaires pendant des heures, j’intercalais mes réponses habituelles sans que ces échanges suscitent la moindre pensée dans mon esprit. C’est à peine si je me rappelle avoir vécu les dernières années - ou, plus exactement, je me rappelle avoir été vivant, mais je suis incapable de distinguer un jour d’un autre, un Noël des autres, un mot de toi de n’importe quel autre que tu as pu prononcer. (…)

A présent, mon corps pavlovien continue d’agir ainsi qu’il l’a fait au cours de toutes ces années et il rédige ce compte rendu de mon suicide en une ultime crispation, complexe et involontaire, des muscles de mon bras, de ma main et de mes doigts.


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