La main gauche de la nuit

LE GUIN Ursula

Article publié le vendredi 12 mars 2010 par Philémont

Quatrième de couverture

Depuis son arrivée sur la planète Gethen, Genly Aï a toujours eu froid. Il risque bien pis, comme tous les Envoyés de l’Ekumen. L’Ekumen n’est pas un empire, mais une coordination de mondes habités. Sur cent années-lumière, la guerre n’aurait aucun sens : à quoi bon envoyer une armada sur un monde dont on recherche l’alliance ? Genly Aï est venu seul, comme tous les Envoyés ; s’il échoue, on recommencera dans un siècle ou deux. Mais les seigneurs de Gethen y voient un piège. La peur tourne vite à la haine, quand on découvre que l’Envoyé n’a qu’un seul sexe, et qu’il est perpétuellement disponible. Une monstruosité, voilà ce qu’il est. Sur cette planète hostile, il aura du mal à se faire accepter comme un ami — c’est à peine si l’on verra en lui un homme.

Ursula Le Guin, née en 1929, est la fille de l’ethnologue Theodora Kroeber. Depuis des années, elle occupe dans la S.F. une place à part : sans méconnaître les cauchemars ambiants, elle édifie des univers chatoyants où des personnages étrangement sereins s’essaient à tenir compte des autres, à respecter leurs particularités, à vivre ensemble tout simplement. Elle a obtenu le Prix Hugo en 1975, pour son roman les Dépossédés.

L’avis de Philémont

La main gauche de la nuit est un roman faisant partie de ce qui est appelé le cycle de l’Ekumen dans l’oeuvre d’Ursula K. LE GUIN. Il ne s’agit toutefois pas d’un cycle dans le sens où l’on suit des personnages d’un roman à l’autre, mais plutôt d’un univers commun à chaque récit. L’Ekumen est une organisation galactique de coordination commerciale et culturelle dont l’objectif principal est de développer les échanges entre les mondes qui la composent. L’idée sous-jacente étant que les différences biologiques et culturelles sont indispensables à la survie de l’Humanité, l’Ekumen tente de rallier progressivement d’autres planètes afin d’agrandir pacifiquement sa sphère d’influence. Pour cela, l’organisation envoie sur les mondes isolés des ambassadeurs censés convaincre leurs habitants de rejoindre volontairement la confédération.

Dans La main gauche de la nuit, c’est la mission de Genly Aï sur la planète Géthen. Le récit prend la forme d’un rapport romancé faisant appel non seulement à la voix de l’Envoyé de l’Ekumen, mais également à des contes et légendes locaux et au journal d’un autochtone qui aide Genly Aï dans sa démarche diplomatique. Géthen, appelée aussi Nivôse par les humains, se caractérise par un climat extrêmement rigoureux et une société divisée en petits états farouchement indépendants, sans toutefois qu’ils aillent jusqu’à se faire la guerre. La population, génétiquement différente des autres humains, ne présente aucune caractéristique sexuelle visible pendant un cycle de 26 à 28 jours durant lequel chacun est sexuellement neutre. Puis les géthéniens entrent dans une période d’activité sexuelle de quelques jours pendant laquelle ils peuvent prendre indifféremment l’un ou l’autre sexe. Bien entendu, la virilité affichée de l’Envoyé choque ces autochtones hermaphrodites qui voient en elle un dérèglement monstrueux. Mais Genly Aï est également perturbé dans ses démarches diplomatiques par ces métamorphoses, y compris celles de celui qui veut sincèrement l’aider. C’est pourquoi il doit dépasser ses préjugés s’il veut mener sa mission à bien, et ce d’autant plus que les géthéniens ne comprennent pas non plus les intentions pacifistes de l’Ekumen, et craignent de perdre leur pouvoir en rejoignant l’organisation.

Dans ce contexte, Ursula K. LE GUIN prend le parti de réduire l’action de son récit à son expression la plus simple. En dehors des intermèdes relatifs aux contes venant illustrer ce qui suivra, on suit le récit de Genly Aï et de son compagnon géthénien comme on le ferait de tout rapport circonstancié relatif à une mission quelconque, en l’occurrence une évasion suivie d’une fuite de plusieurs mois sur un vaste glacier. Ce n’est donc pas très original ; ce n’est pas non plus rythmé comme on pourrait s’y attendre. Car ce qui intéresse l’auteure n’est pas l’action en tant que telle, mais l’aventure humaine liée à la découverte d’un autre monde et d’une autre culture. Cela nécessite d’entrer dans les moindres détails de cet univers et d’analyser toutes les implications de la rencontre de deux mondes totalement opposés. En d’autres termes, c’est à une véritable étude anthropologique que LE GUIN se livre, parsemant ici et là son récit d’aphorismes philosophiques souvent très profonds.

Cela ne signifie pas pour autant que La main gauche de la nuit est un roman ennuyeux, bien au contraire. Dès les premières pages le lecteur est transporté et passionné par la découverte de la planète Géthen et peut aisément s’identifier à Genly Aï. C’est le résultat d’une prose aussi raffinée que claire qui rend le récit parfaitement fluide. C’est aussi lié à la parfaite crédibilité du monde décrit, et ce dans toutes ses caractéristiques, de sa géographie à la psychologie de ses habitants, en passant par son système politique, et ce sans que jamais le lecteur n’ait l’impression de suivre un cours magistral. C’est enfin la conséquence de la sensibilité sans faille de l’auteure à l’égard du genre humain, s’interdisant tout manichéisme et s’ouvrant à toute la palette des sentiments et des émotions de ses personnages.

Un autre avantage d’un tel choix narratif est lié à l’universalité des thèmes abordés. Ainsi, La main gauche de la nuit ayant été publié pour la première fois en 1969, force est de constater que ses qualités sont aujourd’hui intactes, et qu’elles le seront probablement encore dans quelques décennies. Alors, si cela était possible, on pourrait bien redonner à ce très beau roman les Prix Hugo et Nebula qu’il a déjà obtenu au moment de sa première publication.


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