Lavinia

LE GUIN Ursula

Article publié le lundi 28 février 2011 par Philémont

Quatrième de couverture

Comme Hélène de Sparte j’ai causé une guerre. La sienne, ce fut en se laissant prendre par les hommes qui la voulaient ; la mienne, en refusant d’être donnée, d’être prise, en choisissant mon homme et mon destin. L’homme était illustre, le destin obscur : un bon équilibre.

Dans l’Énéide, Virgile ne la cite qu’une fois. Jamais il ne lui donne la parole. C’est la voix de Lavinia, fille du roi du Latium, que nous fait entendre Ursula Le Guin. Les présages disent qu’elle épousera un étranger venu d’au-delà des mers et qu’ils poseront les fondations d’un grand empire à venir. Enfui de Troie mise à sac, à l’issue d’un long périple, Énée remonte enfin le Tibre…

Lavinia a obtenu le Locus Award 2009, le prix de la plus prestigieuse revue américaine consacrée au domaine de l’imaginaire. C’est, en dit le critique, « certainement le meilleur ouvrage pour adultes de l’auteur depuis des décennies ».

L’avis de Philémont

Lavinia conte l’histoire d’un personnage méconnu de l’Enéide mais néanmoins essentiel dans la mythologie romaine. Fille du roi des Latins, Lavinia refuse d’épouser ses prétendants quand elle est en âge de se marier puisque les augures la destinent à Enée qui, après s’être enfui de Troie, est en quête d’une nouvelle terre. Bien sûr l’arrivée de cet étranger provoque un conflit sanglant, lequel est remporté par le troyen grâce à sa volonté d’intégration qui lui garantit le soutien du roi et la main de Lavinia. Leur vie commune est heureuse mais courte puisqu’Enée est tué trois ans plus tard. Lavinia élève alors seule leur fils, Silvius, dont la descendance conduira à Romulus et Rémus, et à la fondation de Rome.

Un peu à la façon de Marion Zimmer BRADLEY qui vingt ans plus tôt nous proposait une relecture de la guerre de Troie, Ursula K. LE GUIN réécrit avec Lavinia un épisode peu connu de la mythologie romaine, et ce d’un point de vue exclusivement féminin. Mais Lavinia est aussi l’antithèse d’Hélène puisque la première refuse ce que la seconde laisse faire ; les conséquences sont néanmoins les mêmes, bien que dans des proportions différentes.

La guerre, qu’elle soit latente ou bel et bien réelle, est en effet au coeur du roman puisque l’époque est violente et que tout problème se règle par le sang. Pourtant certains s’interrogent sur le bien fondé d’une telle brutalité, parmi lesquels Lavinia bien sûr, mais également son père et Enée. Et c’est là qu’Ursula LE GUIN se démarque franchement de Marion Zimmer BRADLEY, puisque le lecteur ne détectera nul manichéisme dans la prose de la première, là où il était omniprésent dans celle de la seconde.

Et au-delà de la guerre, c’est toute la société de l’époque que l’auteure décrit de manière très détaillée, de la façon dont on se nourrissait aux pratiques religieuses, en passant par l’exercice du pouvoir qui ne dispensait nullement de participer activement à la vie quotidienne de la cité. Et bien sûr, dans cette société pré-romaine, les rôles des hommes et des femmes étaient très différenciés, mais associés, faisant de la condition de chacun un élément à part entière d’une société parfaitement codifiée.

En tout cela les personnages mis en scène dans Lavinia sont particulièrement fins et émouvants. De plus la prose de l’auteure est à la fois travaillée, belle et facile d’accès. Et comme l’histoire est en elle-même passionante, le lecteur tient avec Lavinia une incontestable réussite. Les lecteurs du magazine Locus ne s’y sont d’ailleurs pas trompés en lui décernant son prix en 2009.

NB : il est possible de lire le premier chapitre de Lavinia en suivant ce lien.


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