
Titre Original
American Gods, 2001Lauréat du Prix Hugo 2002
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Du même auteur
- Stardust
- Neverwhere
- Des Choses Fragiles
- De bons présages - Terry Pratchett & Neil Gaiman
- Miroirs et fumées
- Coraline
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"Si jamais je me retrouve un jour abandonné sur un sommet ou perdu dans un désert, je connais un moyen infaillible pour obtenir de l’aide. Je me contenterai d’annoncer l’ouverture d’une convention de science-fiction ; dans la demi-heure, Brian Aldiss et Arthur Clarke seront là". POHL FrederikQuatrième de couverture :
A peine sorti de prison, Ombre apprend que sa femme et son meilleur ami viennent de mourir dans un accident de voiture et qu’ils étaient amants. Seul et désemparé, il accepte de travailler pour un mystérieux individu qui se fait appeler Voyageur. Entraîné dans une aventure où ceux qu’il rencontre semblent en savoir plus sur ses origines que lui-même, Ombre va découvrir que son rôle dans les desseins de l’énigmatique Voyageur est bien plus dangereux qu’il n’aurait pu l’imaginer.
Car, alors que menace un orage d’apocalypse, se prépare une guerre sans merci entre les anciens dieux saxons des premiers migrants, passés à la postérité sous les traits des super-héros de comics, et les nouveaux dieux barbares de la technologie et du consumérisme qui prospèrent aujourd’hui en Amérique…
Best-seller aux États-Unis, un grand thriller épique où se mêlent mythologies et réalité, une magnifique métaphore dans laquelle Gaiman explore l’âme et les contradictions de l’Amérique moderne.
Né en 1960 en Angleterre, Neil Gaiman vit aujourd’hui aux États-Unis. Auteur de la série de comics The Sandman, romancier, novelliste, coauteur avec Terry Pratchett du roman De Bons Présages (Au Diable Vauvert), Gaiman s’est imposé comme l’un des auteurs cultes de la nouvelle vague fantastique rock.
Mon avis :
Il n’y a pas à dire, Neil Gaiman sait écrire, et bien écrire. Sur 700 pages (que l’on ne voit pas passer), il brosse dans American Gods un portrait mi-réaliste, mi-fantastique de l’Amérique d’aujourd’hui, avec ses contradictions qui font toute sa richesse. Comme le dit le quatrième de couverture, il s’agit d’une immense métaphore de tout un pays, où les dieux de tous poils (grecs, romains, vikings, égyptiens, modernes…) dirigent l’ordre du monde. L’humour est complexe mais très présent, les références à la mythologie sont nombreuses et judicieuses.
L’histoire d’Ombre, ce détenu qui sort de prison en ayant tout perdu et accepte le marché de ce mystérieux Voyageur nous emmènera loin de ce à quoi on pouvait s’attendre au premier abord. Et quel plaisir que de décrypter les indices placés nonchalamment sur le chemin d’Ombre…
Parmi les lieux traversés par notre héros, la description du village de Lakeside donne presque envie d’y séjourner par moins quarante degrés et la maison sur le rocher semble suffisamment intrigante pour être le but d’une expédition touristique.
Tout au long du roman, des apartés nous plongent dans l’intimité des premières peuplades qui créèrent des dieux, souvent cruels et aujourd’hui disparus de l’esprit des hommes. Comme ce dieu symbolisé par une énorme tête de bison par les premiers migrants d’Amérique, il y a quelques millénaires, dont le nom se perd dans les limbes de l’histoire. Et quand je dis que l’humour et l’ironie sont omniprésents, il n’y a qu’à remarquer les professions des anciens dieux, reconvertis pour survivre dans l’Amérique moderne : ainsi, Mr. Ibis et Mr. Chacal ont monté leur propre entreprise de pompes funèbres, et sont avant tout soucieux de la qualité de leurs prestations.
Mais au final, on s’aperçoit que ce ne sont pas les Dieux qui commandent aux hommes, mais les hommes qui permettent aux dieux d’exister. Et les hommes sont plutôt d’humeur capricieuse : les dieux se succèdent dans l’histoire des hommes depuis la nuit des temps sans que l’humanité dans son ensemble y voit une grande différence. S’il apparaît un nouveau besoin, un nouveau dieu est créé de toutes pièces et les anciens tombent peu à peu en désuétude.
C’est ce qui arrive à Odin, Loki et à leurs confrères, peu à peu oubliés au profit des nouveaux dieux des transports, de l’électronique et de l’informatique. Une immense guerre entre anciens et nouveaux dieux se prépare en un lieu inaccessible aux hommes. Mais ce combat a-t-il un sens dans un pays où toute chose possède une date de péremption ?
Est-ce que l’Amérique ne croit plus en rien (les anciens dieux qui dépérissent) ?
Ou croit-elle à trop de choses en trop peu de temps (les nouveaux dieux de l’Internet et des nouvelles technologies) pour conserver une identité stable ?
A moins qu’à l’image de la jeune Samantha, "Sam", elle puisse accepter sans rechigner les contradictions que lui apporte la culture de chacun de ses habitants, s’adaptant à toutes les circonstances pour mieux survivre ?
Il ressort de toutes ces interrogations que le vrai dieu de l’Amérique, c’est le pays en lui-même, mauvaise terre pour le séjour de dieux qui sont oubliés sitôt créés.
En lisant les extraits ci-dessous, vous aurez un petit aperçu de la diversité des thèmes abordés et de l’humour omniprésent, qui refait surface uniquement quand on s’y attend le moins :)
En bref, American Gods recherche l’identité de l’Amérique moderne à travers ses croyances, tâche qui semble être sans fin. Vraiment un bon roman, plein de péripéties et avec un héros attachant, le tout enrobé d’une touche d’humour bienvenue.
Note : American Gods vient d’obtenir le prix Hugo 2002 décerné aux USA par la World Science-fiction Society, qui récompense le meilleur livre de SF de l’année. Puisque je vous dit qu’il est bien ;-)
Extraits :
1- Chaque heure blesse. La dernière tue. Où avait-il lu ça ?
Ombre se souvint du commentaire de Voyageur et sourit malgré lui. Il avait entendu trop de gens s’encourager à ne pas réprimer leurs sentiments, à laisser s’épancher leurs émotions et s’échapper la douleur. _ Selon lui, il y avait beaucoup à dire pour l’emprisonnement des émotions. Si on le pratiquait assez longtemps, assez profondément, on finissait sans doute par ne plus rien ressentir.
2- Voici les dieux qui ont disparu du souvenir. Même leurs noms se sont perdus, et ceux qui les révéraient sont aussi oubliés qu’eux. Leurs totems ont été renversés, brisés, il y a bien longtemps. Leurs derniers prêtres sont morts sans avoir transmis leurs secrets.
Les dieux meurent. Et lorsqu’ils meurent vraiment, nul ne les pleure ni ne se les rappelle. Il est plus difficile de tuer une idée qu’un être vivant, mais on finit par y arriver.
3- Le Tonight Show s’acheva. Un épisode de Cheers commença. Ombre n’avait jamais suivi cette série, dont il n’avait vu qu’un seul épisode - celui où la fille de Coach vient au bar - mais plusieurs fois. Il avait remarqué qu’on tombait toujours, à des années d’intervalle, sur le même épisode des séries qu’on ne regardait pas régulièrement. Ce devait être une loi cosmique.
4- Ils ont essayé de résister aux soldats, mais ces derniers ont tiré, et ils ont été tués tous les deux. Donc, la chanson ment au sujet de la prison, mais c’est une licence poétique. En poésie, on ne peut pas toujours dire les choses telles qu’elles sont. La poésie ne représente pas la vérité. Il n’y a pas assez de pieds dans les vers pour ça.
Commentaire d’un chanteur sur "La Ballade de Sam Bass"
A Treasury of American Folklore.
5- L’homme croit, songea le fils d’Odin. Voilà ce qu’il fait : il croit. Toutefois, il ne prend pas la responsabilité de ses croyances. Il conjure mais ne se fie pas à ses conjurations. L’homme peuple les ténèbres de fantômes, de dieux, d’électrons, de contes. L’homme imagine, l’homme croit, et c’est sa foi, cette foi inaltérable, qui déclenche les évènements.
Le sommet de la montagne était une arène, Ombre s’en rendit compte aussitôt. Et de chaque côté de l’arène, il les vit rangés.
Ils étaient trop grands. Tout, ici, était trop grand.
Il y avait là d’anciens dieux : des dieux à la peau brune couleur de vieux champignon, rose comme du poulet cru ou d’un jaune de feuille morte. Certains aliénés, d’autres sains d’esprit, mais il les reconnut tous. Il les avait déjà rencontrés, ou d’autres qui leur ressemblaient. Il y avait là des afrits et des lutins, des géants et des nains. Ombre vit la femme devinée dans la chambre obscure de Rhode Island, distingua les serpents verts sinueux de sa chevelure. Il vit Mama-ji, qui avait du sang sur les mains et qui souriait. Il reconnut chacun d’entre eux.
Et aussi les nouveaux.
Il y avait là quelqu’un qui devait être un magnat des chemins de fer, vêtu d’un costume démodé, la chaîne de sa montre à gousset tendue en travers de sa veste. L’air d’avoir connu des jours meilleurs. Son front était animé de tics.
Il y avait là les grands dieux gris des avions, héritiers de tous les rêves du plus lourd que l’air.
Il y avait là un puissant contingent de dieux des automobiles, à l’expression sérieuse, avec du sang sur leurs gants noirs et leurs dents chromées : les bénéficiaires de sacrifices humains sur une échelle inconnue depuis les Aztèques. Même eux, toutefois, paraissaient mal à l’aise.
Les mondes changent. (…)
Les nouveaux étaient arrogants, cela se voyait, mais ils étaient aussi effrayés : à moins qu’ils ne changent au même rythme que le monde, ou à moins qu’ils ne le redessinent et le reconstruisent à leur image, leur heure de gloire passerait très vite.
6- Ca n’est pas facile à croire.
- Je suis capable de croire n’importe quoi, affirma-t-elle. Vous n’avez pas idée de ce que je peux croire.
- Vraiment ?
- Je peux croire des choses vraies et des choses fausses, et même des choses dont personne ne sait si elles sont vraies ou fausses. Je crois au Père Noël, au lapin de Pâques, à Marilyn Monroe, aux Beatles, à Elvis et à M. Ed, le cheval parlant. Écoutez-moi bien : je crois que les gens peuvent s’améliorer, que la connaissance est infinie, que les monde est dirigé par des cartels de banques secrets et régulièrement visités par des extra-terrestres - des gentils qui ressemblent à des petits lémuriens ridés et des méchants qui mutilent le bétail et convoitent notre eau ou nos femmes. Je crois que les lendemains chantent et aussi qu’ils déchantent, je crois qu’un de ces jours la Femme-Bison Blanc va revenir nous botter le cul. Je crois que tous les hommes ne sont que de petits garçons montés en graine avec de profonds problèmes de communication, que le déclin de la sexualité en Amérique coïncide avec le déclin des drive-in dans la plupart des États. Je crois que tous les politiciens sont des escrocs sans scrupules mais qu’ils sont préférables à l’alternative. Je crois qu’au moment de la grosse catastrophe, la Californie coulera dans l’océan, alors que la Floride se dissoudra juste dans la folie, les alligators et les déchets toxiques. Je crois que le savon antibactérien diminue notre résistance à la poussière et à la maladie, si bien qu’un de ces jours, on sera tous décimés par un mauvais rhume, comme les Martiens de La Guerre des Mondes. je crois que les plus grands poètes du siècle dernier étaient Edith Sitwell et Don Marquis, que le jade est du sperme de dragon séché, et qu’il y a des milliers d’années, dans une vie précédente, j’étais une chamane manchotte en Sibérie. Je crois que le destin de l’humanité est dans les étoiles. Je crois que les bonbons étaient réellement meilleurs quand j’étais petite, qu’il est scientifiquement impossible à une abeille de voler, que la lumière est à la fois une onde et une particule, qu’il y a quelque part, dans une boîte, un chat à la fois mort et vivant (quoique si on n’ouvre jamais la boîte pour le nourrir, il finira par être mort de deux manières différentes), et que l’univers contient des étoiles qui existaient plusieurs milliards d’années avant lui. Je crois en un dieu personnel qui s’occupe de moi, s’inquiète pour moi et supervise tout ce que je fais. Je crois en un dieu impersonnel qui a mis l’univers en branle avant de partir faire la foire avec ses copines, et qui ne sait même pas que j’existe. Je crois en un univers de chaos causal, de bruit de fond et de chance aveugle - vide, sans dieu. Je crois que ceux qui disent le sexe surfait n’ont jamais fait l’amour correctement. Je crois que quiconque prétend détenir la vérité est aussi capable de petits mensonges. Je crois en une honnêteté absolue et en de raisonnables mensonges sociaux. Je crois que la femme a le droit de choisir, que le bébé a le droit de vivre, que malgré le caractère sacré de la vie humaine, il n’y a rien à redire à la peine de mort, pour peu qu’on puisse faire une confiance totale au système judiciaire, et que seul un idiot congénital ferait confiance au système. Je crois que la vie est un jeu, que c’est une mauvaise blague et que c’est ce qu’on connaît quand on est vivant. Que, tant qu’à faire, autant en profiter pleinement."
Elle s’interrompit, hors d’haleine. Ombre faillit lâcher le volant pour applaudir.
7- "Vous êtes heureux ?" demanda soudain le petit dieu.
Il contemplait depuis plusieurs heures son compagnon qui, à chaque fois qu’il jetait un coup d’œil à droite, surprenait ses yeux bruns fixés sur lui.
"Pas vraiment. Mais je ne suis pas encore mort.
- Hein ?
- On ne peut pas dire d’un homme qu’il est heureux tant qu’il n’est pas mort. Hérodote."
Nancy haussa un sourcil blanc.
Moi, je ne suis pas encore mort, et c’est principalement pour ça que je suis heureux comme un pape.
- Oui, mais ce truc d’Hérodote, ça ne veut pas dire que les morts sont heureux. Juste qu’on ne peut pas juger la vie de quelqu’un avant qu’elle ne soit terminée.
- Je ne la juge pas. Quand au bonheur, il y en a un tas de différents, tout comme il y a un sacré paquet de morts différentes. Moi, je prends ce que je peux quand je peux.