Cristal qui songe

STURGEON Théodore

Article publié le dimanche 30 décembre 2007 par Cyrallen

Quatrième de couverture :

Lorsqu’il est renvoyé de l’école, à l’âge de huit ans, cela fait déjà plusieurs années que Horty mange des fourmis en cachette.

Fuyant alors la demeure de ses parents adoptifs qui le martyrisent, le gamin trouve refuge au sein d’un cirque ambulant où il devient le partenaire de deux jeunes naines, Zena et Bunny.

Mais les personnages les plus extraordinaires du cirque restent son féroce directeur, surnommé le Cannibale, et son étrange collection de cristaux : des cristaux qui peuvent gémir et semblent toujours plongés dans un rêve minéral.

L’avis de Cyrallen :

On retrouve dans Cristal qui songe la même volonté que dans Les plus qu’humains de définir à l’aide de moyens peu communs l’humanité, ses forces et ses faiblesses, et de la comparer à "l’anormalité" en général. Les cristaux qui songent, en plus d’être à la base du récit, y ajoutent une dimension poétique bienvenue. Il en résulte un roman fluide, qui se lit d’un trait et dont les personnages nous tiennent en haleine d’un bout à l’autre.

Extraits :

1- Seul un homme qui se serait, comme lui, consciemment détourné depuis des années de tout ce qui était humain pouvait remarquer ce qu’il remarqua un certain jour d’automne, et surtout, l’ayant remarqué, pouvait avoir la curiosité de l’examiner plus à fond. Seul un homme bénéficiant au même degré que lui de ce rare mélange de connaissances scientifiques et de raisonnement logique aurait pu en fournir une explication. Et, à coup sûr, seul un monstre social tel que lui pouvait par la suite tirer le même parti que lui de sa découverte. Ce jour là il vit deux arbres.
Chacun d’eux était un arbre pareil à tous les autres. (…) Rien, absolument rien, n’aurait attiré son attention sur l’un ou l’autre de ces deux arbres s’il les avait vus isolément. Mais il les vit en même temps. Son regard les parcourut de haut en bas ; l’étonnement lui fit lever légèrement les sourcils et il passa son chemin. Au bout d’un instant, il s’arrêta, revint sur ses pas et regarda mieux. Soudain, il poussa une sorte de petit grognement comme s’il avait reçu un coup de pied. Il passa entre les deux arbres qu’une douzaine de mètres séparait et les contempla tour à tour avec stupeur. (…)
Ce qu’il voyait était incroyable, impossible. Certes, la loi des grands nombres ne s’oppose pas à ce qu’il existe deux arbres rigoureusement identiques, mais la probabilité de ce fait est si infinitésimal que l’adjectif "impossible" convient seul à qualifier cette éventualité.
Ganneval allongea la main et arracha une feuille à l’un des arbres ; puis la feuille correspondante sur le second arbre.
Leurs dimensions, leur forme, leur contexture, leurs nervures même, étaient identiques.
C’en fut assez pour Ganneval. Il poussa de nouveau un petit grognement de satisfaction, regarda attentivement autour de lui pour bien fixer dans son esprit l’emplacement des deux arbres et rentra chez lui au triple galop.

2- Dis-moi Horty, fit elle tout à coup, qu’y a-t-il dans ton sac en papier ?
- Junky. C’est un diable à ressort dans sa boîte. Enfin, ça l’était jusqu’à ce qu’Armand me le casse. Je vous l’ai déjà dit. Le voleur a achevé de le démolir. (…)
Elle tira du sac les morceaux de carton-pâte.
- Mais il y en a deux ! s’écria-t-elle avec une soudaine véhémence.
Elle se tourna et regarda Horty avec autant de stupeur que s’il était subitement devenu violet ou que s’il lui était poussé des oreilles de lapin.
- Deux ! répéta-t-elle. Au restaurant je croyais n’en avoir vu qu’un. Et ils sont vraiment à toi ? Tous les deux ?
- Ce sont les yeux de Junky, expliqua-t-il.
- Et d’où vient Junky ?
- Je l’avais avec moi avant qu’Armand m’adopte. Un policeman m’a trouvé dans un square quand j’étais tout petit. On m’a mis dans un orphelinat. C’est là qu’on m’a donné Junky. Je crois bien que je n’ai jamais eu de famille.
- Et Junky… Attends, je vais t’aider… Junky est toujours resté avec toi ?
- Oui, forcément.
- Pourquoi, forcément ?
- Comment donc s’accroche ce machin-là ?
Zéna réprima un violent désir de pousser l’enfant dans un coin et de l’y maintenir ce vive force jusqu’à ce qu’elle eût réussi à extraire de lui le renseignement qui l’intéressait.
- Je te parlais de Junky, reprit-elle cependant avec patience.
- Ah ! Oui, Junky… Je tenais à l’avoir toujours près de moi. Non, pas exactement près de moi : je pouvais m’en séparer du moment qu’il ne lui arrivait rien et qu’on me le laissait bien à moi. Cela m’était égal de ne pas le voir, même pendant longtemps, mais, si on y touchait, je le savais, et si on lui faisait du mal, j’avais mal aussi. Vous comprenez ?
- Très bien, dit Zéna, à la grande surprise de l’enfant.


Réactions sur cet article

Aucune réaction pour le moment!



 
Propulsé par SPIP 1.9.2g | Suivre la vie du site RSS 2.0