Le Maître du Haut Château

DICK Philip K.

Article publié le vendredi 5 mars 2010 par Philémont

Quatrième de couverture

Hitler a gagné la guerre. L’Allemagne et le Japon se sont partagé les Etats-Unis. Au fond de l’Afrique, la solution finale au problème noir est lancée. Entre les vainqueurs, l’entente ne dure pas : le Japon est menacé, l’Empire nazi s’apprête à recouvrir le monde. À nous le totalitarisme tranquille ! Cette histoire ne tient pas debout. On peut entrevoir un autre univers. Les Alliés ont gagné la guerre. L’Amérique et la Russie se sont partagé l’Allemagne. Un peu partout, la solution finale au problème des nationalités est lancée. Entre les vainqueurs, l’entente ne dure pas : la course aux armements va bon train, la Russie ne peut pas suivre et l’Empire américain s’apprête à recouvrir le monde. Le mal se banalise. Cette histoire ne tient pas plus que la précédente. Le Maître du Haut Château, dans se retraite des Rocheuses, parle d’un troisième univers où la guerre s’est terminée autrement. Et cet univers-là est le seul réel. Le seul où il y ait de la compassion et de l’espoir. Nous sommes cernés par les faux-semblants. Le monde où règnent les Simulacres peut bien s’effondrer : les solitaires survivront. Tel Manfred. Manfred ne parle pas, il ne nous voit même pas, mais il voit l’abîme qui nous attend et il saura, le moment venu, par le seul pouvoir de l’esprit, déclencher un Glissement de temps sur Mars. Dans une éternité truquée, il est vivant et humain.

Philip K. Dick (1928-1982) tient un place à part dans le monde de la S.F. Sur la substance dont sont faits les rêves, il projette une lumière crue et surnaturelle qui dénude les recoins les plus obscurs du cœur humain et fait chanceler le monde sur ses bases.

L’avis de Philémont

En 1933, Franklin Roosevelt est assassiné à Miami. Dès lors les Etats-Unis ne parviennent pas à sortir de la grande dépression et vont rester figés dans la neutralité quand Adolf Hitler lancera son offensive contre l’Europe. Plus rien ne s’oppose alors à la victoire des Forces de l’Axe (Allemagne, Italie, Japon) dans le deuxième conflit mondial qui aboutit au partage des Etats-Unis en 1947 entre l’Allemagne à l’Est et le Japon à l’Ouest. Quinze ans plus tard, à San Francisco, un livre connaît un très grand succès : « La Sauterelle pèse lourd ». Il s’agit d’un roman de science fiction dont l’intrigue s’appuie sur une idée saugrenue, celle selon laquelle les Alliés auraient remporté la Deuxième Guerre mondiale en 1945.

Le lecteur suit alors quatre personnages principaux dont les destins parallèles ne se croisent quasiment jamais. Il s’agit de Robert Childan, vendeur d’antiquités folkloriques américaines, de Nosubuke Tagomi, fonctionnaire japonais, de Frank Frink, artisan juif qui se lance dans la joaillerie d’art, et de Juliana Frink, ex-femme de ce dernier partie à la rencontre de l’auteur du best-seller, retiré dans un château au coeur des Etats-Unis. En leur nom, Philip K. DICK présente alors la géopolitique de l’ordre nouveau, et ce d’une manière très cohérente par rapport à l’Histoire connue des différents régimes politiques avant le point de divergence de son uchronie. L’exercice peut d’ailleurs parfois sembler quelque peu académique et empreint d’un certain patriotisme américain.

L’essentiel du Maître du Haut Château n’est toutefois pas à rechercher à ce niveau. Le véritable propos du roman est d’interroger le lecteur sur la vraisemblance du monde considéré comme réel dans le roman, et celle du monde romancé dans « La Sauterelle pèse lourd ». Il s’agit-là d’un thème très « dickien » qui s’appuie sur l’utilisation subtile du Yi King, ou Livre des mutations (Livre des Transformations dans la présente traduction), l’un des grands classiques chinois. Plus précisément, il s’agit d’un corpus de divination remontant à l’Antiquité et qui repose sur les symboles cosmologiques (les trigrammes) et les éléments de base de l’Univers. Le sens des différents combinaisons est alors expliqué par des poèmes sibyllins dont l’interprétation s’avère éminemment subjective. Dès lors en quoi le monde du roman de DICK est-il plus ou moins cohérent que celui du roman dans son roman ? Il ne faut pas compter sur l’auteur pour répondre à cette question ; il préfère en effet mettre ses lecteurs à contribution en leur demandant indirectement un effort de réflexion pour aller au-delà des apparences.

Il y a donc deux niveaux de lecture du Maître du Haut Château. Le premier niveau est le plus simple mais laissera le lecteur sur sa faim : c’est celui de l’uchronie pure et simple et de la description du monde tel qu’il évolue à partir du point de divergence. Le second niveau est bien plus complexe et nécessite une contribution intellectuelle de la part du lecteur. Si ce dernier connaît, ou accepte de se documenter sur le Yi King, il découvrira alors une oeuvre d’une richesse incroyable et quasiment infinie. Inutile de préciser que c’est à ce seul second niveau de lecture que le roman peut être pleinement apprécié et que l’on comprend pourquoi le Prix Hugo lui a été décerné en 1963.


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