Le pianiste déchaîné

VONNEGUT Kurt

Article publié le vendredi 5 février 2010 par Philémont

Quatrième de couverture

Et maintenant, voici les premières notes de Halte à la société industrielle, une composition célèbre des années 80… ou 90… Peu importe : vous êtes dans le très proche avenir, à Ilium, Etat de New York. Une cité charmante divisée en trois districts : un pour les administrateurs, ingénieurs et fonctionnaires. Un autre pour les machines. Et un troisième pour les gens. Les gens, tout simplement. Ceux qui font semblant de travailler, parce que tel est leur devoir. Ou d’appartenir à une armée artificielle que ne justifie pas la moindre petite guerre. Les gens. Les « Recons » et les « Récus ». N’essayez pas de vous reconnaître en eux : ce serait trop navrant…

L’avis de Philémont

Au sortir de la Troisième Guerre Mondiale, la société américaine s’est profondément transformée pour adopter une stricte segmentation. Par exemple, Ilium, Etat de New York, est divisé en trois parties : au nord-ouest résident les administrateurs, les ingénieurs, les fonctionnaires et quelques professionnels libéraux ; au nord-est, il y a les machines ; et au sud s’étend la zone où vit le reste de la population, oisive, si ce n’est qu’elle fait semblant de travailler dans les Brigades de Reconstruction et de Récupération, ou d’appartenir à une armée désormais inutile, pour consommer ce que les machines daignent produire pour elle.

A Ilium, Paul Proteus est un nanti. Administrateur d’Ilium Works, il a été sélectionné, comme tous ceux de sa classe sociale, sur la base de ses diplômes et de son QI par un ordinateur de la quatorzième génération. Il a donc a priori tout pour être heureux, sauf qu’il ne l’est pas, ou plutôt qu’il s’ennuie dans son univers figé. Alors quand son ami d’enfance Ed Finnerty lui rend visite après avoir démissionné de son poste d’administrateur à Washington, c’est l’occasion de faire une virée dans un bar au sud d’Ilium et d’entamer une folle partition sur un vieux piano mécanique…

Tout premier roman de Kurt VONNEGUT, Le pianiste déchaîné s’inscrit dans la plus pure tradition des dystopies à la manière du Meilleur des mondes d’Aldous HUXLEY. Mais ce qui est déjà personnel à VONNEGUT, et qui atteindra son apogée dans Le berceau du chat et Abattoir 5, c’est son sens de la satire et le cynisme de son propos, toujours plein d’humour en dépit de son pessimisme. Ici c’est à la société américaine du début des années cinquante qu’il s’attaque en la caricaturant à l’extrême ; entièrement régie par les machines, l’homme n’y occupe qu’une place de consommateur passif ; et même lorsque le peuple est amené à se révolter c’est pour retourner tout aussi vite dans les travers qui l’ont conduit à se battre.

L’univers décrit peut certes paraître daté, de même que la structure du récit n’est guère originale comparée à celle des oeuvres majeures de Kurt VONNEGUT. Néanmoins Le pianiste déchaîné fourmille d’excellentes idées, souvent hilarantes, et ce d’autant plus aujourd’hui qu’elles sont désormais plus proches de la réalité que de la caricature. Tous les thèmes du débat socio-économique actuel sont en effet abordés, jusqu’à ce fameux séminaire annuel réservé à la classe dirigeante, les participants étant sommés de s’amuser et de nouer des amitiés plus intéressées que sincères. Aujourd’hui, nous avons le Forum économique mondial, plus connu sous le nom de Forum de Davos, et qui semble remplir peu ou prou la même fonction que dans le roman.

Pour toutes ces raisons Le pianiste déchaîné est un excellent roman et l’on comprend facilement pourquoi Philip K. DICK l’a encensé de son vivant.


Réactions sur cet article

Aucune réaction pour le moment!



 
Propulsé par SPIP 1.9.2g | Suivre la vie du site RSS 2.0