La maison des feuilles

DANIELEWSKI Mark Z.

Article publié le dimanche 15 décembre 2013 par Philémont

Quatrième de couverture

« Je fais encore des cauchemars. D’ailleurs, j’en fais si souvent que je devrais y être habitué depuis le temps. Ce n’est pas le cas. Personne ne s’habitue vraiment aux cauchemars. » Ainsi parle Johnny Errand au seuil de cette Maison des feuilles, et de poursuivre sa mise en garde : « Ça ne se produit pas immédiatement, mais sans prévenir vous vous apercevrez que les choses ne sont pas telles que vous pensiez qu’elles étaient. » Livre subversif, livre défendu, le lecteur est prévenu… et bien entendu tenté.

Dans son introduction, Johnny explique comment il a trouvé un mystérieux manuscrit à la mort d’un vieil homme aveugle, décidé de le mettre en forme et de l’annoter de façon très personnelle. Le texte se présente comme un essai sur un film, le Navidson Record, réalisé par Will Navidson, un photoreporter, lauréat du prix Pulitzer. Will, qui vient d’emménager avec sa famille dans une maison en Virginie, filme son installation, réalisant une sorte de « home movie ». Tout s’annonce bien jusqu’à ce qu’il découvre une pièce qui jusqu’alors n’existait pas. Passé l’étonnement, il se rend à une évidence troublante : la maison est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Navidson tente d’explorer les lieux mais, après avoir manqué se perdre, il engage des explorateurs professionnels. L’horreur commence alors. Aussi bien pour les membres de l’expédition que pour le lecteur — lui-même égaré dans le dédale des notes qui envahissent les pages comme un lierre maléfique. Que cache la maison ? Quel est ce grondement qu’elle émet de temps en temps ? Pourquoi Johnny a-t-il ces cicatrices ? Pourquoi le manuscrit de Zampanô semble-t-il le rendre fou ?

A la fois jeu de piste, récit fantastique, dérive personnelle, essai faussement académique, La Maison des feuilles a pour effet de changer progressivement le lecteur en apprenti sorcier, monteur de salle obscure, détective amateur, spectateur. Une lecture littéralement habitée.

L’avis de Philémont

S’il voulait se contenter de résumer La maison des feuilles, le lecteur pourrait simplement parler de l’histoire d’une maison hantée, une maison plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur, une maison à l’architecture intérieure mouvante, une maison que l’on peut explorer pendant des semaines jusqu’à s’y perdre à jamais. Ce serait toutefois trop réducteur pour rendre compte de ce qu’est réellement ce roman sans équivalent.

Car La maison des feuilles est tout sauf conventionnel. Mark Z. DANIELEWSKI y mêle plusieurs narrations, adopte divers styles, aborde différents genres, de l’horreur à la réflexion philosophique, en passant par les références historiques. Les nombreuses citations sont tantôt authentiques, tantôt imaginaires. Surtout l’auteur déstructure totalement son roman, le coeur étant le récit d’un vieil homme aveugle récemment décédé (Zampano) sur la réalisation d’un film par Will Navidson, le tout étant abondamment commenté par un troisième personnage (Johnny Errand).

Enfin DANIELEWSKI dote son roman d’une forme totalement iconoclaste. Elle est d’abord basée sur un subtil jeu de notes de bas de page qui s’appellent l’une l’autre. Les principales sont celles de Zampano et de Johnny Errand, les premières étant relativement académiques, les secondes toutes en longues digressions sur des sujets qui n’ont a priori rien à voir avec le sujet du récit principal de Navidson. Elle est ensuite axée sur une mise en page extrêmement recherchée, chaque narrateur ayant sa propre police de caractères, les pages elle-même étant structurées de façon à rendre compte des sentiments générés par les événements du récit principal. C’est ainsi que l’on trouve ici et là des passages où chaque page n’est constituée que de quelques mots, voire aucun ; on y trouvera aussi du texte barré, à l’envers, circulaire, et même du texte manquant, sans parler du mot « maison » imprimé systématiquement en bleu quelle que soit la langue dans laquelle il est écrit (la couverture en donne un aperçu).

Tout cela contribue grandement à l’immersion du lecteur dans un roman aussi étrange que complexe. Tout cela participe également au sentiment de malaise, voire d’horreur, généré par cette maison des feuilles. Bien sûr on regrettera aussi quelques longueurs, en particulier dans le cadre des interventions vraiment décalées de Johnny Errand, le personnage n’étant par ailleurs guère charismatique, parfois un peu à l’image du Patrick Bateman de Bret Easton ELLIS. Mais ce qui domine à la fin de cette lecture c’est le sentiment d’une oeuvre écrite superbement imagée, et ce sans image à l’exception de celles qui sont reproduites dans les abondantes annexes. C’est indéniablement un tour de force qui ne peut que marquer durablement l’esprit des lecteurs en quête d’originalité.


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