Limbo

WOLFE Bernard

Article publié le samedi 22 août 2009 par Philémont

Quatrième de couverture

ATTENTION AU ROULEAU COMPRESSEUR ! LA SOCIETE, LA MACHINE, LA GUERRE … SOYEZ DES PACIFISTES INTEGRAUX ! FAITES-VOUS COUPER LES MEMBRES ! Limbo, publié initialement aux Etats-Unis en 1952, est l’un des plus grands romans prophétiques parus depuis la Seconde Guerre mondiale. Prophétique par son fond, il l’est aussi par sa forme qui annonçait les théories de McLuhan et les recherches de l’Underground. Un classique demeuré actuel.

L’avis de Philémont

Bernard WOLFE est l’auteur d’un unique roman, Limbo, publié aux Etats-Unis en 1952. Considéré comme une oeuvre culte par les amateurs de Science-Fiction américains, il est pourtant méconnu en France, bien que traduit et publié rapidement après son édition originale. Il est vrai qu’il avait été édité dans une collection de littérature générale, les amateurs de Science Fiction ayant alors ignoré son existence, les amateurs de littérature générale ayant pour leur part été perturbé par son sujet. C’est pourquoi Gérard KLEIN a décidé au début des années 70 de rééditer ce roman dans sa collection Ailleurs et Demain.

Qu’en est-il précisément ? De 1970 à 1972, la guerre russo-américaine n’était plus froide et la troisième guerre mondiale faisait rage. Le Docteur Martine, jeune et brillant neurochirurgien, avait déserté pour trouver refuge sur une île coupée du monde au large de Madagascar. Là il a exercé ses talents au sein d’une tribu indigène dont il est devenu un membre estimé.

Dix-huit ans plus tard, une équipe d’athlètes aux membres curieusement remplacés par des prothèses ultra-perfectionnées, investit l’île le temps d’un séjour d’entraînement. De peur que sa retraite ne soit découverte, Martine se voit forcé de regagner incognito le monde qu’il a quitté depuis longtemps. Mais celui-ci a bien changé : Immob, la doctrine immobiliste qui le régit, proscrit formellement toute violence et invite chacun à se faire amputer des membres pour les faire remplacer par des prothèses amovibles et confiscables à la moindre intention belliqueuse. De ce fait, la guerre est un mal qui ne peut plus se reproduire puisqu’il est impossible de la faire sans bras ni jambes. Incrédule, Martine évolue dans cet univers et découvre avec effarement que ses propres travaux de jeunesse ont largement contribué à l’émergence d’Immob.

Le lecteur découvre donc en même temps que le Docteur Martine cet univers post-apocalyptique, la visite se faisant sur la base d’une prose de grande qualité parfaitement rythmée. L’objectif de WOLFE n’est toutefois pas le sensationnalisme mais la réflexion philosophique sur les fondements d’une doctrine qui a fait du pacifisme une valeur si fondamentale qu’elle passe avant l’être humain dans ce qu’il est physiquement. Et pour cela il utilise une multitude de références, de l’aristotélisme (l’homme se construit en tant qu’être physique) au freudisme (l’homme se construit en tant qu’être psychique), en passant par le manichéisme (le corps de l’homme est mauvais, son esprit est bon) ou encore le marxisme (ce sont les relations sociales de l’homme qui le construisent).

Mais que le lecteur potentiel se rassure, et on touche ici à la plus grande force de ce roman, Bernard WOLFE est si érudit qu’il parvient à intégrer ces éléments de réflexion dans son intrigue sans que celle-ci en soit rendue pesante. Bien au contraire, c’est sans s’en rendre compte que le lecteur est touché au plus profond de lui-même et est conduit à répondre par lui-même à la question de l’intérêt du pacifisme relativement à la passivité qu’il implique, et parfois même avec humour.

En pointant du doigt les effets pervers d’une humanité pacifiée, Limbo se pose en dystopie particulièrement fine. Le roman est également une charge contre la pensée trahie, quand les théories scientifiques, ou même les idées couchées rapidement sur le papier, sont récupérées par les idéologues. Enfin, en montrant les contradictions du genre humain, Limbo se veut aussi un roman profondément humaniste.

Certains propos pourront certes paraître machistes, voire racistes. Il faut toutefois les resituer dans le contexte historique et social de rédaction du roman, et ne pas oublier que tout ce qui le compose par ailleurs est véritablement intemporel et fait de lui une oeuvre bel et bien exceptionnelle.


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