Le quatuor de Jérusalem T1 - Le codex du Sinaï

WHITTEMORE Edward

Article publié le lundi 8 juin 2009 par Philémont

Quatrième de couverture

Un anachorète albanais égaré dans le Sinaï, Skanderberg Wallenstein, découvre par accident le manuscrit le plus ancien de la Bible. Horrifié par sa lecture, il épuise sa vie à fabriquer le plus grand faux de l’Histoire. Afin que la Bible demeure telle que nous la connaissons. Un lord anglais excentrique, Plantagenêt Strongbow, duc de Dorset, rompt avec les coutumes bizarres de sa famille et parcourt nu les déserts du Moyen-Orient avant d’écrire une somme sur le sexe en trente-trois volumes et d’acquérir secrètement tous les biens de l’Empire ottoman. Un Juif arabe né sous les Pharaons, Hadj Harun, coiffé d’un casque de croisé, défend seul Jérusalem contre la multitude de ses envahisseurs, et ne sait plus s’il est juif ou arabe, ni du reste qui il est. Un adolescent irlandais, Joe O’Sullivan Beare, mène avec une redoutable pétoire la lutte contre l’oppresseur anglais avant de fuir en Palestine sous la défroque d’une religieuse et de devenir par accident un héros de la guerre de Crimée, perdue bien avant sa naissance.

Mélange épicé de roman d’espionnage et de conte des Mille et Une Nuits, d’histoire secrète et de spéculation échevelée, Le Codex du Sinaï est l’œuvre d’un écrivain hors normes, ancien agent de la CIA, qui a fait de Jérusalem sa terre d’élection. C’est un de ces livres qui paraissent destinés aux amateurs de science-fiction, qui donnent du monde une vision décalée, ironique, uchronique, et qui affirment que la vérité est ailleurs sans jamais cesser de se présenter comme de la fiction. Un domaine dans lequel ont excellé des écrivains aussi célèbres que Vladimir Nabokov ou Umberto Eco et, plus près de nous, Neal Stephenson dans son cycle du Cryptonomicon ou Théodore Roszak dans La Conspiration des ténèbres. Le Quatuor de Jérusalem, dont Le Codex du Sinaï est le premier volet, appartient à cette étrange et séduisante cohorte.

L’avis de Philémont

Disons-le d’emblée : le quatuor de Jérusalem est une tétralogie singulière. Sur près de deux siècles, elle nous propose une Histoire contemporaine du Moyen-Orient par le prisme du destin d’une galerie de personnages étonnants à divers titres. Par ailleurs, la forme des quatre romans nous conduit à distinguer les deux premiers volumes des deux derniers.

Le codex du Sinaï et Jérusalem au poker mettent en scène des personnages souvent loufoques dans des situations éminemment improbables. Citons par exemple, dans Le codex du Sinaï, Plantagenêt Strongbow, duc de Dorset, qui rompt dès son plus jeune âge, au début du XIXème siècle, avec les coutumes familiales, puis avec celles de l’Angleterre, pour parcourir nu les déserts moyen-orientaux, puis écrire une thèse en trente-trois volumes sur le sexe levantin, et enfin acquérir la quasi totalité des biens de l’Empire ottoman. Citons aussi Skanderberg Wallenstein, un anachorète albanais qui découvre par hasard dans les caves du monastère de Sainte Catherine du Sinaï une Bible très ancienne qui remet fondamentalement en cause le dogme tel qu’il est enseigné depuis des siècles ; il passe alors de nombreuses années à réaliser le plus grand faux de l’Histoire afin que la Bible demeure ce qu’elle est. Citons encore hadj Harun qui défend Jérusalem contre ses envahisseurs depuis si longtemps qu’il ne sait plus qui il est, et encore moins s’il est juif ou arabe ; il est vrai qu’il est né il y a près de 3 000 ans.

Quant à Jérusalem au poker, deuxième tome de la tétralogie, il met en scène trois hommes qui organisent à Jérusalem au début des années 20 un tournoi de poker qui durera douze ans, l’enjeu n’étant rien de moins que le contrôle de la ville sainte elle-même. Il s’agit de Cairo Martyr, le musulman noir aux yeux bleus qui a fait fortune dans le trafic d’une drogue à base de poudre de momies ; il s’agit aussi de Munk Szondi, le Hongrois sioniste dont la fortune est issue du trafic d’armes ; il s’agit enfin de Joe O’Sullivan Beare, l’Irlandais catholique déjà rencontré dans le premier volume, et qui tire sa fortune d’un commerce douteux d’artefacts chrétiens à forme phallique.

Tous ces personnages, et bien d’autres, ne cessent de se croiser tout au long des deux récits, ceux-ci étant pour le moins non-linéaires dans leur structure. Mais ce désordre et le côté burlesque de bien des caractères n’est qu’apparent et masquent la plus extrême des rigueurs pour expliquer au lecteur les tenants et les aboutissants de ce qui est probablement la plus grande tragédie de l’Histoire : la lutte sans fin entre musulmans, juifs et chrétiens. De ce point de vue, le génocide arménien, en particulier celui de Smyrne en septembre 1922, sert de fil rouge tout au long des deux romans, rappelant s’il en est besoin que ce qui se joue alors c’est la vie de millions d’être humains.

Ombres sur le Nil prend une toute autre forme. On y retrouve Joe O’Sullivan Beare, devenu chaman des indiens hopis aux Etats-Unis, qui est rappelé en 1942 au Caire par les services secrets britanniques pour enquêter sur les agissements de Stern, cet homme pour qui il a travaillé au début des années 1920, et avec qui il est devenu ami. Car Stern, fils de Plantagenêt Strongbow, a un rêve dans sa vie : celui d’une nation au sein de laquelle musulmans, juifs et chrétiens vivraient en harmonie. Or en cette période où le général Rommel tente de faire main basse sur tout le Moyen-Orient, Stern est soupçonné d’être un agent double. Dès lors le récit se fait plus linéaire et prend la forme d’un roman d’espionnage.

Il en est de même pour Les murailles de Jéricho qui met en scène un soldat israélien librement inspiré d’Eli Cohen, ce maître espion israélien qui vécut plusieurs années infiltré en Syrie, procurant au Mossad des informations capitales pour l’issue de la Guerre des Six Jours.

Mais qu’on ne s’y trompe pas, un tel choix narratif est parfaitement cohérent dans le fil de la tétralogie. Car les horreurs racontées dans Ombres sur le Nil et Les murailles de Jéricho ne sont que les terribles conséquences des évènements narrés dans les deux premiers volumes. Avec la Seconde Guerre Mondiale, on entre de plain-pied dans une ère moderne où la légèreté n’a plus aucune place et à partir de laquelle juifs et musulmans vont se livrer une guerre totale, sous l’oeil au mieux neutre des nations occidentales chrétiennes.

Le quatuor de Jérusalem est donc un cycle qui emprunte à de nombreux genres littéraires. Il s’agit tout autant de romans historiques que de romans d’espionnage. On y trouve également des éléments propre aux littératures de l’imaginaire, telles la Science-Fiction, quand l’auteur se joue de quelques réalités historiques pour développer une Histoire alternative, ou la Fantasy, quand il fait référence aux Mille et une nuits ou à la mythologie irlandaise. Mais le principal sujet d’Edward WHITTEMORE est l’être humain, tous ses personnages faisant l’objet d’une analyse particulièrement fine d’un point de vue psychologique, développant tous les thèmes propres à la vie des Hommes, de la naissance à la mort, en passant par l’amour, la guerre, la religion et les conséquences des choix que tout un chacun est amené à faire dans le cours de son existence.

Cela fait du quatuor de Jérusalem une véritable mosaïque. Pour autant rarement la problématique du Moyen-Orient n’aura été posée aussi clairement, Edward WHITTEMORE se posant en mosaïste exceptionnel. Fin connaisseur du Moyen-Orient, il est doté d’une superbe prose, aussi précise que capable de jouer avec les sentiments les plus antagonistes, tels le rire que suscitent certains personnages et situations, ou les larmes que provoquent la guerre et les nombreuses morts tragiques. On pourrait même appliquer à son oeuvre ce que Joe O’Sullivan Beare dit à propos de Stern dans Ombres sur le Nil : « Toute vie est une tapisserie secrète qui se tisse et s’édifie au cours des ans, avec l’âme et l’effort en guise de fils et de couleurs. Mais ces petits noeuds n’ont au fond pas d’importance, seul compte le dessin, la tapisserie dans son ensemble. »

Concluons d’ailleurs en signalant que si chacun des quatre romans peut être lu indépendamment, il serait dommage de se priver de l’ensemble de la mosaïque. Saluons aussi le superbe travail de traduction de Jean-Daniel BREQUE qui a su mettre en valeur toute la richesse de cette oeuvre. Remercions enfin les éditions Robert Laffont, et plus précisément Gérard KLEIN et la collection Ailleurs et Demain, qui ont eu l’audace de faire enfin découvrir à la France ces quatre romans publiés initialement aux Etats-Unis entre 1977 et 1987.


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