Les Fables de l’Humpur

L’avis de Cyrallen :

Depuis le temps que j’en entendais parler en bien, il me fallait absolument lire les prometteuses Fables de l’Humpur.
Et puis, après avoir dévoré une dizaine de ses livres , je sais très bien que Bordage fait partie des auteurs pour lesquels on y va les yeux fermés… Bien m’en a pris !

De nouveau, le miracle s’accomplit : un roman formidablement bien construit, des personnages attachants et une quête initiatique qui touche à l’avenir/au passé du genre humain… Une fois de plus Bordage nous régale et décortique la nature humaine au plus profond de ses entrailles et de ses sentiments.

Voici un petit aperçu pour vous donner envie de vous lancer vous aussi.

Nous sommes dans un futur moyennement proche, en France et plus précisément dans la région du massif central. Tour à tour, nous découvrons les coutumes et moeurs de peuplades qui ressemblent à des chimères mi-humaines, mi-animales.
On s’aperçoit bien vite que ces êtres, organisés en communautés avec leurs propres tabous, se sont engagés sur le chemin de la régression, perdant au fil des générations la maîtrise des outils, de la parole et même des libertés individuelles.

C’est ainsi que notre jeune héros, Véhir, un grogne (mi-homme, mi-cochon !) se révolte, malgré sa nature soumise. Il décide de s’enfuir pendant une cérémonie du "grut", qui a lieu deux fois l’an. C’est pendant cette cérémonie que la reproduction des grognes est assurée dans une sorte d’enclos de fécondité, où les pulsions animales prennent le dessus sur les liens sentimentaux. Ne pouvant supporter que la grogne pour laquelle il s’est épris durant plusieurs mois participe sans complexe à cette cérémonie, il décide sur un coup de tête de s’exiler.

Et le début de sa quête des anciens humains des légendes, les hommes-purs (Humpur) commence. Il rencontre très peu de temps après son mentor, Jarit, un vieux grogne exilé depuis des années, qui lui enseigne les règles de base de la survie. Il découvre que celui-ci vit dans une vieille demeure humaine où subsistent des livres que Jarit est parvenu à lire après des années d’apprentissage et une dague fabriquée par les humains, qu’il ne quittera plus pendant son long périple.

Seulement ils vont être bien vite repérés par des envoyés du duché de Luprat, organisé en seigneurie et composé d’hommes-loup. Ceux-ci sont chargé de faire régner les lois de l’Humpur sur la région des grognes et par la même occasion de prélever leur pitance.
Il est impensable que des grognes, qui servent de nourriture de choix aux prédateurs que sont les miaules (hommes-chat), les hurles (hommes-loup) (etc…) prennent des initiatives. La sentence pour Jarit et Véhir est sans surprise la mort.

Mais c’est sans compter sur Tia, jeune hurle et 7ème fille du roi de Luprat, qui décide de faire évader Véhir de sa prison et de fuir avec lui pour échapper à son mariage forcé avec une brute.

Une hurle et un grogne, on aura jamais vu d’association aussi proche entre un prédateur et sa proie !
Et pourtant, ils découvrirons à travers leur quête des anciens hommes que ce sont eux qui détiennent la clef du futur des hommes.

Un roman riche, bien construit, une véritable épopée pas si naïve qu’il y paraît de prime abord.
Chaque chapitre est précédé par une Fable de l’Humpur, à la manière des fables de la Fontaine, avec une morale qui introduit les péripéties que devront traverser nos héros au fil des pages. Et les talents de conteur de Bordage sont incontestables, le récit est prenant. L’auteur a même été jusqu’à inventer un langage dégénéré, compréhensible, pour faire parler ses créatures et qui nous montre à quel point la régression s’opère de génération en génération.

La fin réserve bien des surprises, mais je ne vous en dit pas plus, il vous reste beaucoup à découvrir de la part de Tia et Véhir :-)

Extrait :

Ainsi s’en vient le grogne, l’allure pesante,
la fourche et la faux sur l’épaule,
la tête baissée sur cette terre qu’il éventre de son soc
et engrosse de sa sueur,
et sa peur l’ensuit comme une ombre.
Un jour, un hurle errant de mauvais aloi
croise le chemin d’un grogne âgé et
frappé par la maladie des os mous. _"Es vieux et guère alléchant, failli grogne,
mais, foi de hurle, ta boucane sera meilleure encore
que la carne des bêtes sauvages.
- N’y songez pas, seur hurle, répond le grogne.
Si vous me ripaillez, serai’j comme une maladie
dans votre sang et dans vos os. Et mourrirez
avant la fin de la lunaison des arbres deffeuillés…"
Le hurle réfléchit et dit : _"Tu as peut-être raison, pue-la-peu, mais si je ne te saigne pas
sur l’instant,
je serai mort avant la fin du jour."
Et il se jeta sur le grogne pour l’égorger.

Puissent un jour les dieux de l’Humpur nous délivrer
de ces deux fruits de l’ignorance que sont la faim et la peur.

- Les fabliaux de l’Humpur -