La machine à explorer le temps

WELLS Herbert George

Article publié le dimanche 30 décembre 2007 par Cyrallen

Quatrième de couverture :

« Je vis des arbres croître et changer comme des bouffées de vapeur ; tantôt roux, tantôt verts ; ils croissaient, s’étendaient, se brisaient et disparaissaient. Je vis d’immenses édifices s’élever, vagues et splendides, et passer comme des rêves. Toute la surface de la terre semblait changée — ondoyant et s’évanouissant sous mes yeux. Les petites aiguilles, sur les cadrans qui enregistraient ma vitesse, couraient de plus en plus vite. Bientôt je remarquai que le cercle lumineux du soleil montait et descendait, d’un solstice à l’autre, en moins d’une minute ; et de minute en minute la neige blanche apparaissait sur le monde et s’évanouissait pour être suivie par la verdure brillante et courte du printemps. »

Avec Jules Verne, Herbert George Wells (1866-1946) est considéré comme le père fondateur de la science-fiction contemporaine. Il a donné à ce genre littéraire nombre de ses thématiques et certains de ses plus immortels chefs-d’oeuvre (La machine à explorer le temps, La guerre des mondes, L’île du docteur Moreau, L’homme invisible).

L’avis de Philémont :

Recevant quelques amis, un scientifique prétend avoir inventé une machine à explorer le temps et leur raconte son aventure en l’an 802701. Dans ce futur, l’Humanité est divisée en deux groupes : celui des Eloïs, en parfaite symbiose avec la nature, et celui des Morlocks, voué aux ténèbres et à la servitude…

La machine à explorer le temps est le premier roman d’Herbert George Wells. Avec lui, il devenait avec Jules Verne le père fondateur de la science fiction sur une thématique maintes fois utilisée depuis : le voyage dans le temps. Mais là où les récits de Verne impliquent un décalage vers l’avenir, sans que pour autant celui-ci soit posé comme un fait, Wells justifie la possibilité de ce voyage en recourant à une hypothèse scientifique contemporaine : l’existence d’une quatrième dimension, le temps.

Ceci posé, Wells franchit alors le pas de la création d’une machine capable de voyager dans cette quatrième dimension. Il nous entraîne alors dans l’avenir peu reluisant de l’Humanité. Mais là encore, tout n’est pas qu’imagination de la part de l’auteur, mais bel et bien inspiré de ce que certains scientifiques et penseurs de son temps croient dur comme fer : la société moderne porte en elle les germes de son inévitable déclin. Ces germes sont l’urbanisation anarchique, l’invasion de la vie privée par la collectivisation de l’information, le développement de la propagande et, surtout, l’approfondissement du fossé séparant la classe exploitante et la classe dominée (au début de sa vie Wells était un socialiste convaincu).

L’évolution de notre société moderne n’a donc conduit qu’à la décadence et à la dégénérescence de l’Humanité. L’ancienne classe exploitante, les Eloïs, est devenue inutile et improductive, incapable de la moindre réaction face à l’adversité. L’ancienne classe dominée, les Morlocks, s’est quant à elle enfouie sous terre d’où elle gère une machinerie qui rend possible l’existence des anciens exploitants…

Tout cela est extrêmement bien écrit et le roman, en dépit de son âge et des multiples adaptations cinématographiques (généralement mauvaises) dont il a fait l’objet, est passionnant. Certes la description des Eloïs et des Morlocks peut paraître aujourd’hui quelque peu naïve, mais la réflexion sur notre devenir entretient aujourd’hui encore la richesse de cette oeuvre majeure de la science fiction.

Extraits :

" Je me trouvai, après cet exploit, dans une situation réellement pire qu’auparavant. Jusque-là, sauf pendant la nuit d’angoisse qui suivit la perte de la Machine, j’avais eu l’espoir réconfortant d’une ultime délivrance, mais cet espoir était ébranlé par mes récentes découvertes. Jusque-là, je m’étais simplement cru retardé par la puérile simplicité des Eloïs et par quelque force inconnue qu’il me fallait comprendre pour la surmonter ; mais un élément entièrement nouveau intervenait avec l’écœurante espèce des Morlocks - quelque chose d’inhumain et de méchant. J’éprouvais pour eux une haine instinctive. Auparavant, j’avais ressenti ce que ressentirait un homme qui serait tombé dans un gouffre : ma seule affaire était le gouffre et le moyen d’en sortir. Maintenant je me sentais comme une bête dans une trappe, appréhendant un ennemi qui doit survenir bientôt.

" L’ennemi que je redoutais peut vous surprendre. C’était l’obscurité de la nouvelle lune. Weena m’avait mis cela en tête, par quelques remarques d’abord incompréhensibles à propos des nuits obscures. Ce que signifiait la venue des nuits obscures n’était plus maintenant un problème bien difficile à résoudre. La lune était à son déclin ; chaque jour l’intervalle d’obscurité était plus long. Et je compris alors, jusqu’à un certain point au moins, la raison pour laquelle les petits habitants du monde supérieur redoutaient les ténèbres. Je me demandai vaguement à quelles odieuses atrocités les Morlocks se livraient pendant la nouvelle lune.

" J’étais maintenant à peu près certain que ma seconde hypothèse était entièrement fausse. Les habitants du monde supérieur pouvaient bien avoir été autrefois une aristocratie privilégiée, et les Morlocks leurs serviteurs mécaniques, mais tout cela avait depuis longtemps disparu. Les deux espèces qui étaient résultées de l’évolution humaine déclinaient ou étaient déjà parvenues à des relations entièrement nouvelles. Les Eloïs, comme les rois carolingiens, en étaient venus à n’être que des futilités simplement jolies : ils possédaient encore la terre par tolérance et parce que les Morlocks, subterranéens depuis d’innombrables générations, étaient arrivés à trouver intolérable la surface de la terre éclairée par le soleil. Les Morlocks leur faisaient leurs habits, concluais-je, et subvenaient à leurs besoins habituels, peut-être à cause de la survivance d’une vieille habitude de domestication. Ils le faisaient comme un cheval cabré agite ses jambes de devant ou comme un homme aime à tuer des animaux par sport : parce que des nécessités anciennes et disparues en avaient donné l’empreinte à l’organisme. Mais manifestement, l’ordre ancien était déjà en partie inversé. La Némésis des délicats Eloïs s’avançait pas à pas. Pendant des âges, pendant des milliers de générations, l’homme avait chassé son frère de sa part de bien-être et de soleil. Et maintenant ce frère réapparaissait transformé. Déjà les Eloïs avaient commencé à rapprendre une vieille leçon. Ils refaisaient connaissance avec la crainte. Et soudain me revint à l’esprit le souvenir du repas que j’avais vu préparé dans le monde subterranéen. Etrangement, ce souvenir me hanta : il n’était pas amené par le cours de mes méditations, mais survenait presque hors de propos. J’essayai de me rappeler les formes ; j’avais un vague sens de quelque chose de familier, mais à ce moment, je ne pouvais dire ce que c’était.

" Pourtant, quelque impuissants que fussent les petits êtres en présence de leur mystérieuse crainte, j’étais constitué différemment. J’arrivais de notre époque, cet âge mûr de la race humaine, où la crainte ne peut arrêter et où le mystère a perdu ses épouvantes. Moi, du moins, je me défendrais. Sans plus de délai, je décidai de me faire des armes et une retraite où je pusse dormir. Avec cette retraite comme base, je pourrais affronter ce monde étrange avec quelque peu de la confiance que j’avais perdue en me rendant compte de l’espèce de créatures à laquelle, nuit après nuit, j’allais être exposé. Je sentais que je ne pourrais plus dormir avant que mon lit ne fût en sûreté. Je frémissais d’horreur en pensant à la manière dont ils avaient déjà dû m’examiner.

" J’errai cet après-midi-là au long de la vallée de la Tamise, mais je ne pus rien trouver qui se recommandât comme inaccessible. Tous les arbres et toutes les constructions paraissaient aisément praticables pour des grimpeurs aussi adroits que les Morlocks devaient l’être, à en juger d’après leurs puits. Alors les hautes tourelles du Palais de Porcelaine Verte et le miroitement de ses murs polis me revinrent en mémoire et vers le soir, portant Weena sur mon épaule comme une enfant, je montai la colline, en route vers le sud-ouest. J’avais estimé la distance à environ douze ou treize kilomètres, mais elle devait approcher plutôt de dix-huit. J’avais aperçu le palais, la première fois, par un après-midi humide, alors que les distances sont trompeusement diminuées. En outre, le talon d’une de mes chaussures ne tenait plus guère et un clou avait percé la semelle - j’avais de vieilles bottines confortables pour l’intérieur - de sorte que je boitais. Et ce ne fut que longtemps après le coucher du soleil que j’arrivai en vue du Palais dont la noire silhouette se dressait contre le jaune pâle du ciel.


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