Les Viagens Interplanetarias

SPRAGUE DE CAMP Lyon

Article publié le dimanche 30 décembre 2007 par Cyrallen

L’avis de Jean-Marc Suzzoni :

Lyon Sprague de Camp est un écrivain américain de la période de l’âge d’or de la SF, critique dans la revue Astounding Science-Fiction et pilier de Unknown, continuateur et structurateur de la saga de Conan, vulgarisateur scientifique aussi prolifique qu’Isaac Asimov, et auteur à succès aux USA de séries d’HF, hélas rarement traduites chez nous. J’aimerai ici vous faire connaître une série d’incontournables de la Fantasy : la saga des Viagens Interplanetarias.

Bibliophilie :

- Continent Makers and Others Tales of the Viagens -,1953
- Chasse Cosmique -,1954
- The Towers of Zanid -,1958
- Zeï -,1962
- La Main de Zeï -,1963
- The Hostage of Zir -,1977

Vraisemblablement parus en feuilletons, dans Astounding Science-Fiction, au début des années 1950, les nouvelles et romans de cette série n’ont été traduits et publiés en France qu’incomplètement et assez tardivement. Ainsi Zeï et sa suite, La Main de Zeï, sont d’abord parus dans la collection Galaxie-bis (n°22 et 27), après 1970, puis dans la défunte collection du Masque SF (n°32 et 36). Chasse cosmique n’a, à ma connaissance, été publié qu’au Masque SF (n°45). Les autres textes n’ont, semble-t-il, jamais été publiés en France, mais ma collection de Fiction est très réduite… Aussi je ne jurerais pas qu’il ne serait pas possible de trouver l’intégrale des "Viagens". Mais si vous arrivez déjà à mettre la main sur les volumes du Masque SF dans une quelconque solderie ou chez un bouquiniste, c’est l’occasion à ne pas laisser passer.

L’Univers des Viagens :

Le "background" des Viagens est basé sur l’existence, au 22ème siècle d’une Terre dominée économiquement et techniquement par le Brésil. Ce pays est la seule puissance à posséder des vaisseaux interstellaires commerciaux : la Cie Viagens Interplanetarias, justement. Le commerce est particulièrement actif avec les planètes d’un système solaire éloigné. Autour du soleil Rogir tournent les planètes Krishna, Indra et Vichnou, sur lesquelles vivent les extra-terrestres les plus humanoïdes qui soient. Ce qui est amusant, c’est toutefois de remarquer que, en 1950, l’auteur n’avait pas prévu toute l’évolution des sciences et techniques. A côté des téléphones de poignet, des micro-caméras qui tiennent dans une bague, et des drogues de longévité, on croise des autobus classiques et on écoute la radio ; la BBC ayant toujours des speakers…

Le commerce et les voyages intersidéraux ne sont toutefois pas des choses à prendre à la légère…

Car si on ne met qu’un mois et demi en temps relatif pour aller de Pluton à Krishna, dans la réalité, en temps réel, ou objectif, 14 années se sont passées. C’est "l’effet Fitzgerald". Ce genre de détail superflu pour la trame du récit, fait vrai. Krishna

C’est la principale planète du système de Rogir. C’est elle qui est en fait le principale personnage des romans de L. Sprague de Camp. C’est évidement une planète de type terrestre, mais suffisamment arriérée, style "Sea, Sex, Sun and Sword" pour dépayser le lecteur (américain). Il n’y a pas d’air conditionné, ni d’eau déminéralisée glacée, et les microbes doivent être abondants…

Les habitants de Krishna sont les Krishniens : "… organismes endosquelettiques, bisexués, ovipares, bipèdes,…" finalement très proches des terriens dans leur aspect extérieur. Ainsi un bon maquillage : des lobes d’oreille postiches, des antennes de détection collées sur le haut du front, et une belle teinture vert pomme passée sur toute pilosité, vous transforme un terrien bon teint du 22ème siècle en Krishnien typique. Surtout si vous évitez de vous promener torse nu ! La présence d’un nombril chez le terrien moyen fait désordre chez ces ovipares…

Le Krishnien moyen est un individu sympathique, plutôt amical, bon vivant, peu scrupuleux, et complètement extraverti. De plus il déteste ouvertement les terriens, lesquels ont trop de techniques, sont de vraies mauviettes et sont surtout trop riches, du moins c’est comme cela qu’il se les imagine. Sprague de Camp qui aime bien ses Krishniens, qui leur donne souvent le beau rôle, qui a beaucoup voyagé, n’a pas cherché trop loin pour l’inventer ce Krishnien type. Imaginez à votre tour quelque sympathique villageois, de l’Amérique centrale, style San-Salvadorien, ou encore de l’Asie du Sud-est, un Philippin par exemple, des années 50, voyant débarquer d’un autocar brinquebalant, sur la place principale du village boueuse, parce que non revêtue, en pleine saison des pluies, un gringo, ethnologue débutant ou touriste égaré, et natif de Brooklyn… Sprague de Camp se moque ainsi gentiment des certitudes bornées de ses compatriotes, sûrs d’eux et un peu trop dominateurs. Il glissera un tel gringo dans le dernier chapitre de La Main de Zeï.

Krishna est une planète protégée. C’est à dire que dans cet assemblage hétéroclite de civilisations de types antiques à médiévales, l’importation de toute technologie terrestre est interdite. Si bien que les explorateurs terriens légaux qui visitent Krishna doivent impérativement abandonner armes et matériels terrestres à la douane de Novo Recife, l’enclave terrienne où se trouve l’astroport. Évidement, les Krishniens avides de modernisme tentent par tous les moyens d’importer en fraude tout le savoir terrestre, tel le Prince Ferran de Sostapé qui essaya un beau jour de faire entrer une bibliothèque technique dans le cercueil d’un de ses parents opportunément décédé sur Terre… De plus, les Terriens avides de se tailler un fief moyenâgeux dans cet univers plus vivant que la Terre endormie, font tout pour y faire pénétrer des armes automatiques. Si la flore est plutôt peu développée par l’auteur, la faune de la planète est richement détaillée. Comme les transports sont importants dans les romans krishniens, on voyage souvent à dos de montures hexapodes, l’aya cornu ou non, animal à la démarche sautillante et désarticulée. Mais on peut se servir aussi de chomals ou de shailans écailleux pour tirer quelques charrettes ou diligences. Et, si vous préférez prendre le chemin de fer, évitez la voiture de tête, vous serez juste sous la queue du bishtar, un énorme mammouth ou éléphant à deux trompes qui sert de motrice pour les trains locaux.

Comme parfois, il vous faudra utiliser un bateau, évitez alors de vous baigner dans les rivières, l’avval, croisement entre une murène écailleuse et un crocodile sans pattes peut vous happer d’un seul coup. Quand aux mers, ce n’est pas mieux. Si vous êtes inconscient pour partir chasser le monstrueux gwam pour prendre les pierres de son estomac, évitez de tomber sur un banc de fondagas, ces anguilles géantes sont mortelles. Les forêts ne sont pas sûres non plus. Le cruel yéki peut dédaigner l’unha pour se faire un voyageur plutôt qu’un herbivore d’élevage. Mais c’est là, si vous êtes xéno-ornithologue que vous avez le plus de chance d’observer la chauve souris d’eau, le rayel à deux têtes, le bijar, ou l’eshun…

Les romans krishniens sont un véritable guide pour découvrir la planète. A croire que comme tout maître de jeux de rôles voulant créer une campagne, l’auteur a commencé par dessiner la carte de son univers avant de commencer à écrire le premier mot de son histoire. Ainsi dans Zeï, quand les héros demandent comment se rendre de Novo Recife au mystérieux Sunqar, ils apprendront qu’il leur faut descendre la rivière Pischidé, laquelle sépare l’Empire Gozashtandunien de la République du Mikardand, et à l’embouchure, dans la mer Sadabao, débarquer à Majbur pour prendre le chemin de fer jusqu’à Ghulindé, etc… C’est ce côté Guide Bleu ou Badecker, parfaitement réussi, et finement inséré dans la trame du récit qui donne un côté plaisant et vivant aux romans krishniens. Sprague de Camp a peut-être mieux réussi cela que dans la Saga des Horlogers de Kortoli, ce qui n’est pas peu dire.

Les intrigues :

Que ce soit pour Zeï ou pour Chasse cosmique, il s’agît dans les deux cas d’explorations liées à des intrigues policières.

Dans Chasse cosmique, Victor Hasselborg, détective privé terrien, se voit confier par un richissime père inquiet la poursuite d’une jeune fugueuse, Julnar Batrouni, partie sur Krishna en compagnie d’un présentateur de la BBC. Hasselborg rencontrera systématiquement en chemin un autre détective, asiatique celui-là, Yano… Il aura aussi les plus grandes difficultés à s’insinuer dans les bonnes grâces des différents potentats krishniens. Sa couverture initiale de portraitiste, aura fait long feu dès le début. Il est vrai que la trahison est partout, et qu’il ne faut pas falsifier les lettres de recommandation…

Dans Zeï, deux terriens, Dirk Barnevelt, auteur américain complexé, et George Tangaloa, un xénologue fidjien sybarite, partent à la recherche de leur patron, l’explorateur Igor Shtain, porté disparu sur Krishna, alors qu’il cherchait à entrer dans le mystérieux Sunqar, les Sargasses locales. Évidement, d’innombrables sous-intrigues emberlificotent héros et lecteurs…

En guise de conclusion :

Comme toujours chez Sprague de Camp, les actions sont rapides, et s’enchaînent vivement, avec rebondissements saugrenus trois pages plus loin ; les dialogues sont pétillants de malices ; et les descriptions sont toujours décalées : il y a toujours un écart entre ce que l’auteur décrit et la façon de le décrire. Bref c’est de l’Heroic Fantasy humoristique de grande cuvée.

Tout est évidement centré sur les anachronismes entre la civilisation terrienne intersidérale avec ses gadgets et l’univers moyenâgeux de Krishna. L’anachronisme permanent règne. Le plus génial, c’est la galère porte-avions, avec planeurs bombardiers biréacteurs, qui apparaît dans la Main de Zeï, invention géniale du Prince Ferran de Sostapé évidement. Si vous trouvez ces trois volumes, jetez vous dessus. Ce ne sont pas de grands chefs d’œuvre de la SF, mais après 40 ans, ils n’ont pas pris une ride et vous vous amuserez bien chaque fois que vous les relirez…


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