Les flammes de la nuit

PAGEL Michel

Article publié le samedi 29 décembre 2007 par Cyrallen

Quatrième de couverture (J’ai Lu) :

Le royaume de Fuinör est en liesse : la princesse Rowena vient de naître ! Certes la reine est morte en couches, mais cela n’est à la vérité qu’en tout point conforme à la tradition. Car jusque dans la plus éloignée des contrées sur lesquelles règne Turgoth III, tout n’est que respect à d’immuables coutumes ; aussi, comme il se doit, sept fées se penchent-elles sur le berceau pour honorer l’enfant. Quand vient pourtant leur dernier présent, il est tel que nulle n’en a jamais reçu avant : l’intelligence. Une femme intelligente ! L’enchanteur, détournant la parole de la fée jaune, a en effet décidé que les choses devaient changer. Rowena l’insoumise deviendra une puissante sorcière, et jamais plus Fuinör ne connaîtra la tranquillité…

Michel Pagel. Né en 1961, ce conteur hors pair confesse écrire les histoires qu’il aimerait lire. Passant avec la plus grande aisance d’un genre à l’autre — mais appréciant en réalité plus que tout de mélanger ceux-ci pour façonner son univers — il est l’auteur du remarquable cycle fantastique de La comédie inhumaine (dans lequel mention est déjà faite du monde onirique de Fuinör) et d’un époustouflant roman historique, Le roi d’Août.

L’avis de Philémont :

Tout le roman est construit comme un conte. On y trouve de nombreuses références à ce genre de récits, leur structure y est respectée, ainsi que leurs conventions et leur rythme. Cela étant, on pourrait parler de parodie dans la mesure où beaucoup de personnages classiques des contes sont caricaturés dans leur médiocrité. Les fées sont les garantes du maintien d’un ordre social totalement injuste, les chevaliers sont soit totalement stupides, soit des profiteurs invétérés, les femmes ne peuvent s’élever dans la société qu’en usant et abusant de leur corps… Bref je me demande si Michel Pagel n’a pas voulu non seulement parodier les contes de fées, mais également illustrer les côtés les plus bas de notre propre société…

L’ambiance du roman rappelle également les tragédies shakespeariennes. Michel Pagel ne se gêne d’ailleurs pas pour citer en version originale certains passages des tragédies bien connues de Shakespeare en introduction de chaque époque. Mais le point commun entre Shakespeare et Pagel s’arrête aux intrigues et empoisonnements divers qui émaillent le roman…

La technique littéraire du conte me semble très bien rendue dans la première époque du roman, où l’on est spectateur de l’enfance de la princesse Rowena, et où l’on apprend comment elle va être amenée à se révolter contre les usages de la société de Fuinör. Le récit est vif et, si tant est que l’on ait déjà une appétence pour les contes, on prendra beaucoup de plaisir à la lecture de cette première époque.

En revanche, dans les trois autres époques, le rythme extrêmement rapide du récit montre ses limites dans un roman d’une telle taille (573 pages dans l’édition J’ai Lu). Des personnages centraux sont ainsi éliminés purement et simplement avant même que l’auteur ait eu le temps de développer les aspects de son caractère, et ainsi de nous en apprendre un peu plus sur les lois de Fuinör. De même les scènes de batailles, qui décident classiquement de l’orientation que va prendre la vie de tel ou tel personnage, ou de la société tout entière, sont trop vite expédiées. C’est ainsi que l’on a parfois l’impression qu’il nous manque de nombreux éléments pour comprendre toutes les vicissitudes de Fuinör.

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L’avis de Cyrallen :

La description faite ci-dessus par Philémont correspond assez bien aux sentiments qui ressortent en fermant la dernière page de ce roman. L’enfance d’une princesse qui est consciente de sa différence et de ses pouvoirs, mais qui finalement va choisir par dépit amoureux de perpétuer les traditions contre lesquelles elle se battait pendant sa jeunesse. Quelques points plus recherchés : La contrée de la folie est originale même si l’on aurait aimé y suivre les aventures de ces "fous" plus longtemps. Une bonne idée que celle de Rowena en anti-princesse qui cherche à rétablir plus d’égalité entre serfs et nobles dans le "monde du miroir" dont son père est le roi. Seulement la suite des "flammes de la nuit" rétablit les fameuses "lois" prééxistantes et l’on ne comprend pas bien ce revirement de Rowena, pourtant décidée dans sa jeunesse. Le trio formé par "le héros", "le fou" et "la Femme" dans une autre partie de ce monde est également une idée intéressante même si les rouages de ce système sont expliqués un peu superficiellement pour pouvoir "boucler la boucle" et avoir une vision globale des particularités de ce monde.

Un roman qui laisse donc un peu sur sa faim même s’il y a de bons passages qui relancent l’intérêt du roman, mais l’on aurait aimé avoir une vision plus globale du monde parcouru en pointillés par Rowena.

Extraits :

1- Elle est très jolie dit, la fée verte. Je déclare qu’elle grandira en charme et en beauté. Nulle femme ne pourra jamais l’égaler.
Un murmure d’approbation parcourut la cour lorsqu’elle toucha de sa baguette le front de Rowena, laquelle fut tout entière nimbée d’une brève lueur.
L’une après l’autre, les fées vinrent alors annoncer le don qu’elles accordaient à la princesse.
- Elle chantera à ravir dit la fée bleue. Et les oiseaux eux-même jalouseront sa voix.
Pour l’heure, l’organe de la princesse enflammait moins les cœurs qu’il ne perçait les oreilles, mais on savait que les fées ne parlaient pas à la légère : tout se déroulerait comme elles le prédisaient.
- Elle jouera avec grâce de tous les instruments, dit la fée indigo. Le luth sera son compagnon de chaque instant.
- Elle sera suprêmement habile de ses mains, dit la fée violette. Aucune tâche ne sera trop délicate pour elle.
- Elle épousera un fier et puissant chevalier, dit la fée pourpre. Nul autre que lui ne l’accompagnera dans la contrée de l’amour.
- Et elle lui portera un fort et bel enfant, dit la fée orangée. Grâce à elle sera assurée la continuation de la lignée.
Enfin la fée jaune s’avança devant le roi et sa fille
- C’est une femme, dit-elle, et il serait incorrect qu’un esprit trop aiguisé l’amène à discuter les décisions des hommes. Je déclare donc qu’elle sera stupide et dédaignera les affaires de la politique ou des sciences pour se consacrer aux arts innocents, puis à ses fonctions d’épouse.
Touchée une septième et dernière fois par l’extrémité éclatante d’une baguette magique, Rowena cessa brusquement de pleurer. Le roi et la cour étaient bien trop occupés à remercier les fées de leur générosité pour s’en apercevoir.

2- Lorsque enfin la fée jaune s’était avancée vers le berceau, il [l’enchanteur] était intervenu. La lutte avait été brève, une fraction de seconde, avant qu’il ne perçât les maigres défenses de sa victime, totalement prise au dépourvu.
Alors, il avait dicté ses ordre.
- C’est une femme, dit la fée jaune. Mais elle sera l’être humain le plus intelligent ayant jamais foulé le sol de Fuinör. Et si les hommes ne lui obéissent pas, elle les détruira !
Afin que le triomphe fût total, nul ne devait se rendre compte de ce qui arrivait. Modifier les vibrations des paroles de la fée, transformer pour tous la phrase en son contraire, n’avait été qu’un jeu d’enfant. Ensuite, l’enchanteur avait relâché son emprise, non sans avoir placé un verrou dans l’esprit de son ennemie. Elle aussi croirait avoir condamné Rowena à la stupidité. Plus grande encore serait sa surprise quand viendrait pour l’intelligence le jour de la rébellion.
Épuisé par son effort mais satisfait, l’enchanteur avait observé le départ des fées qui s’étaient transportées jusqu’au cœur de la forêt. A présent, il avait tout le temps de recouvrer ses forces !


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