Leçons du Monde Fluctuant

NOIREZ Jérôme

Article publié le samedi 29 décembre 2007 par Cyrallen
Mis à jour le mercredi 14 octobre 2009

Quatrième de couverture :

Charles Lutwidge Dodgson, révérend, photographe amateur et professeur de mathématiques à l’université d’Oxford, n’a jamais songé à prendre pour pseudonyme Lewis Carroll. D’ailleurs, il n’a jamais songé à écrire des contes pour enfants. Mais il a rêvé d’Alice, trop sans doute, plus que la société n’est prête à tolérer : le voilà contraint de s’embarquer pour Novascholastica, une colonie anglaise entre Afrique et Océanie, avec, pour seul compagnon d’infortune, un « noir précepteur », mage d’état chargé d’une besogne indicible… À Novascholastica, colons, indigènes, bêtes et entités fraternisent par-delà la mort ; une situation contre nature à laquelle il serait bon de mettre un terme. Ce qui n’est pas vraiment le problème de Charles qui a ses propres chimères photographiques à poursuivre…

Jérôme Noirez, finaliste du Grand Prix de l’imaginaire en 2006, a publié trois romans, une quinzaine de nouvelles, une Encyclopédie des fantômes et fantasmes et un album jeunesse, Tout froissé. Leçons du monde fluctuant, d’une originalité foudroyante, n’évoque guère que le corpus de Tim Powers et les élégantes uchronies de Xavier Mauméjean.

L’avis de Philémont :

L’Angleterre de la deuxième moitié du XIXème siècle est un éducaume dirigé d’une main de fer par la Grande Rectrice Victoria. La scolastique y est fondatrice et il n’est pas bon d’aller à l’encontre des innombrables règles qui le régissent. Alors quand Charles Lutwidge Dodgson est soupçonné d’aimer un peu trop les petites filles, surtout depuis qu’il a demandé à Miss Liddell l’autorisation de photographier sa fille Alice en petite tenue, la sanction ne se fait guère attendre ; il est envoyé à l’autre bout du monde, dans la colonie britannique de Novascholastica, pour y instruire les autochtones. A Novascholastica justement, Kematia est une jeune chasseresse empewo à peine pubère. Elle ère dans un sombre et curieux territoire qui s’avère être le royaume des morts. Ces deux destins parallèles vont finir par se croiser…

L’univers de Jérôme NOIREZ est donc dual. Il y a d’abord cette Angleterre victorienne uchronique, qui a vu la consécration de la scolastique au détriment de la monarchie parlementaire au tout début du XVIIème siècle. Dans cette Angleterre, Charles Lutwidge Dodgson, plus connu sous le pseudonyme de Lewis CAROLL dans la véritable Angleterre, rencontre bien des problèmes pour s’intégrer dans une société où l’éducation spirituelle est l’axe fondamental, sinon unique.

Il y a ensuite Novascholastica, cette colonie britannique lointaine, faisant office de purgatoire pour les parias de la nation souveraine, mais aussi pour les indigènes qui la peuplent. On y trouve en effet Lankolong, un au-delà dont la frontière avec le monde des vivants est pour le moins floue et mouvante, et dans lequel Kematia est en quête d’une réponse quant aux circonstances de sa mort.

Derrière une intrigue aussi simple en apparence que difficile à présenter, se cache finalement un roman d’ambiance éminemment singulier. Il ne s’agit pas d’un simple hommage à Lewis CAROLL, mais bel et bien d’une appropriation très personnelle, et beaucoup plus sombre, de son Alice au pays des merveilles. Il ne s’agit pas non plus d’une pure uchronie, ni d’un roman de Fantasy comme on a l’habitude d’en lire, puisque les thèmes abordés par Jérôme NOIREZ sont eux fortement ancrés dans le réel, et d’actualité de surcroît. Des méfaits d’une politique éducative trop rigoriste, à ceux de la colonisation, en passant par des sujets comme le racisme ou l’excision, l’auteur aborde des problèmes graves et difficiles sur le mode du non sens qu’il manipule parfaitement bien.

L’écriture de Jérôme NOIREZ allie en effet de nombreuses qualités. Elle est bien entendu très travaillée, l’exercice du non sens étant particulièrement difficile lorsque l’on veut que l’absurde ne soit qu’apparent. Mais elle est aussi poétique et pleine d’humour, même si ce dernier est le plus souvent noir. Et tout cela est d’une fluidité incroyable considérant les richesses de l’intrigue et de la prose.

Leçons du monde fluctuant est finalement une oeuvre remarquable. Jérôme NOIREZ est quant à lui un auteur français à suivre de très près.


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