Un bonheur insoutenable

LEVIN Ira

Article publié le samedi 29 décembre 2007 par Cyrallen

Quatrième de couverture :

L’action de ce livre se déroule dans un futur qui n’est peut-être pas très éloigné. Toutes les nations sont désormais gouvernées par un ordinateur géant, enfoui sous la chaîne des Alpes.

Les humains sont programmés dès leur naissance - du moins ceux qui sont autorisés à naître - et sont régulièrement traités par des médicaments qui les immunisent contre les maladies, mais aussi contre l’initiative et la curiosité.

Il y a cependant des révoltés. L’un d’eux, surnommé Copeau, va redécouvrir les sentiments interdits et d’abord l’amour. Il s’engage alors dans une lutte désespérée contre ce monde trop parfait, inhumain, qui accorde, certes, le bonheur à tous mais un bonheur devenu insoutenable parce qu’imposé.

Ira Levin est né à New York, en 1929, où il a fait ses études. Devenu romancier, il a abordé avec un égal bonheur tous les genres : le roman de suspense avec La couronne de cuivre, le fantastique avec son best-seller Un bébé pour Rosemary et l’anticipation avec Un bonheur insoutenable.

L’avis de Cyrallen :

Un bouquin tout simplement excellent. Dans la lignée du 1984 d’Orwell avec "big brother is watching you", ou du Meilleur des Mondes d’Huxley, Un bonheur insoutenable est une dystopie qui décrit le combat d’une poignée de résistants, de grands malades aux yeux d’une société domestiquée, entièrement gérée et contrôlée par un ordinateur géant tout-puissant, UniOrd, localisé dans les Alpes.

Tous les humains sont des "membres" de la "Grande Famille" et se soumettent chaque mois à un "traitement" par injection adapté à leurs besoins. Bien sûr, dans le cocktail qu’ils reçoivent se trouvent des vaccins contre toutes les maladies possibles, des médicaments divers, mais également des substances annulant la pousse des poils et des cheveux, des contraceptifs et surtout, (bien qu’ils n’en sachent rien), des tranquillisants ainsi que d’autres drogues qui ôtent aux membres toute volonté individuelle. Le membre de base est docile, altruiste, ne dévie jamais de la norme y compris physiquement (d’ailleurs les programmes génétiques lancés des années auparavant interdisent aux membres les plus "différents" d’avoir des enfants) pour tendre vers une société d’individus identiques physiquement et mentalement. En somme, la société (appelée "Famille" ici) tend vers une réduction des libertés individuelles à néant.

Au milieu de cette uniformité, certains membres comme Li RM35M4419, surnommé Copeau, le héros d’un bonheur insoutenable, cherchent à échapper à leur traitement, réversible, pour tenter de découvrir le domaine des sensations et des sentiments, occultés par les traitements obligatoires tous les mois, administrés "pour le bien des membres de la Famille". Ce combat passera obligatoirement par l’isolement et la transformation de Copeau en un paria qui ne peut compter que sur lui-même, en fuite permanente vis-à-vis des membres "sains et normaux", qui toujours par altruisme et charité, ne peuvent ignorer un membre malade qui a besoin de soins…

Issu du pire de nos cauchemars, un bonheur insoutenable est un roman qui prend par les tripes et laisse imaginer une société normalisée pour son bien, noyée par la bonne volonté et l’altruisme, au point de faire disparaître toute volonté et liberté individuelle. On pourrait la comparer à une colonie d’insectes, chaque membre ne pouvant différer de la norme au risque de faire s’écrouler tout l’édifice.

Avec une intrigue à rebondissements et recherchée, un environnement truffé de pièges à contourner et des rescapés du système considérés comme "incurables", un bonheur insoutenable est un roman soigné et teinté de philosophie, qui se lit comme un roman d’action tant il est bien mené. Encore un classique incontournable sur les sociétés totalitaires.

Extraits :

1- C’était de son grand-père que Copeau tenait ce nom. Il avait donné des noms à toute la famille, des noms qui n’étaient pas leurs vrais noms : il appelait la mère de Copeau, qui était sa fille, "Suzu" au lieu d’Anne ; le père de Copeau était "Mike" à la place de Jésus (et trouvait cela complètement stupide) ; et Paix était "Saule" mais s’y refusait énergiquement.
- Non, je ne veux pas qu’on m’appelle comme ça ! Je suis Paix, je suis Paix KD37T5002 !
Papa Jan était bizarre. Physiquement, bien sûr : tous les grands-parents avaient de petites particularités curieuses - quelques centimètres en trop ou en moins, un teint trop clair ou bien trop foncé, des oreilles trop grandes ou un nez pas très droit. Papa Jan était à la fois plus grand et de teint plus sombre que la norme, ses oreilles étaient de plus grandes et charnues et il y avait quelques mèches rousses dans ses cheveux grisonnants. Ce n’était pas seulement son apparence, mais surtout ce qu’il disait qui était bizarre en lui. Il parlait toujours avec vigueur et enthousiasme, et pourtant Copeau avait le sentiment qu’il ne croyait pas à ce qu’il disait, qu’en fait il voulait dire exactement le contraire. Au sujet des noms, par exemple, il s’exclamait :
- C’est merveilleux ! C’est fantastique ! Quatre noms pour les garçons, et quatre pour les filles ! Quoi de mieux pour éviter les frictions, pour accroître la conformité ? Les gens nommeraient de toute façon leurs enfants d’après Christ, Marx, Wood ou Wei, n’est-ce pas ?
- Oui, dit Copeau.
- Évidemment ! s’exclama Papa Jan. Et si Uni donne quatre noms pour les garçons, il doit aussi en donner quatre pour les filles, hein ? Cela va de soi ! Écoute-moi. Il fit pivoter Copeau et se baissa pour mettre son visage à hauteur du sien. (…)
- Écoute-moi, Li RM 35M26J449988WXYZ, lui dit Papa Jan. Écoute-moi bien car je vais te dire une chose fantastique, une chose incroyable. De mon temps - tu m’écoute ? - il y avait plus de vingt noms différents rien que pour les garçons ! L’aurais-tu cru ? Par l’Amour de la Famille, c’est la vérité. Il y avait Jan et Jean, Amu et Lev, Higa, Mike et Tonio ! Et du temps de mon père, peut-être quarante ou même cinquante ! Tu ne trouves pas ça grotesque ? Tant de noms, alors que les membres se ressemblent tous et sont parfaitement interchangeables ? As-tu déjà entendu chose plus stupide ?
Copeau marmonna un vague assentiment, sentant que Papa Jan voulait dire juste le contraire, et qu’en fait ce n’était ni stupide ni ridicule d’avoir quarante ou cinquante noms rien que pour les garçons.
- Regarde-les ! dit Papa Jan en lui reprenant la main. Tous pareils ! Tu ne trouves pas ça merveilleux ? Les mêmes cheveux, les mêmes yeux, la même peau, la même forme ; tous pareils, garçons et filles. Comme des pois dans leur gousse. Ce n’est pas beau ? Ce n’est pas de première ? Copeau, rougissant (pas son oeil vert, pas le même que celui de qui que ce soit), demanda :
- Que signifie poidanleurgouss’ ?
- Je ne sais pas exactement. Des choses que les membres mangeaient avant les gatototaux.

2- Bob, nous ne sommes pas libres. Ni toi ni moi. Aucun membre de la Famille n’est libre.
- Comment veux-tu que je t’écoute comme si tu étais en bonne santé, quand tu dis des choses pareilles ? Évidemment, que nous sommes libres ! Libres de la guerre, du besoin et de la faim, libres du crime, de la violence, de l’agressivité, de l’ego…
- Oui, oui, nous sommes libres "de" certaines choses, mais nous ne sommes pas libres de "faire" des choses. Tu dois comprendre cela, Bob. Être "libre de quelque chose" n’a rien à voir avec la liberté.
Bob plissa le front.
- Libres de faire quoi ? demanda-t-il.
Ils descendirent de l’escalator, firent un demi-tour et s’engagèrent sur le suivant.
- De choisir notre propre classification… d’avoir des enfants lorsque nous le désirons, d’aller où nous le voulons et de faire ce qui nous plaît, de refuser les traitements quand nous ne les voulons pas…


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