Le vaisseau magique (T1 Les Aventuriers de la Mer)

HOBB Robin (LINDHOLM Megan)

Article publié le samedi 29 décembre 2007 par Cyrallen
Mis à jour le jeudi 28 août 2008

Quatrième de couverture :

Les vivenefs sont des vaisseaux magiques liés à la famille qui les possède par des liens empathiques. Ces navires sont insaisissables, ils bravent les tempêtes, évitent les récifs, distancent les monstres marins, sèment les pirates… Et sont surtout l’objet de toutes les convoitises. Vivacia est la vivenef de la famille Vestrit. Le capitaine Ephron Vestrit est mourant et, parmi les siens, chacun ourdit complots et traîtrises pour s’approprier son vaisseau, car l’héritage d’une vivenef ne se transmet pas comme un legs normal.

Et ce tandis que d’autres dangers se profilent à l’horizon : les serpents de mer qui infestent les océans se regroupent, et un ambitieux pirate aspire à unir ses pairs sous un seul pavillon : le sien…

Robin Hobb a commencé sa carrière d’écrivain en 1995 avec le cycle de L’assassin royal, qui a fait d’elle un auteur désormais incontournable dans le paysage de la fantasy contemporaine. Forte de cet exceptionnel talent de créatrice d’univers, la voici qui s’attelle à une nouvelle saga épique d’une merveilleuse originalité.

L’avis de Philémont (sur la traduction française de Ship of Magic) :

A la mort de son patriarche, la famille Vestrit se déchire. L’enjeu est la Vivacia, la vivenef de la famille. Les vivenefs sont effet des vaisseaux dotés de pouvoir magiques et, surtout, dotés d’une conscience propre… Le premier tome des aventuriers de la mer commence un peu comme celui de L’assassin royal : il s’attache à la dimension psychologique d’un ensemble de personnages. Il faut dire que Robin Hobb excelle dans cet exercice et qu’elle sait donner vie à ses héros. En outre, si L’assassin royal était essentiellement centré sur le personnage de Fitz Chevalerie, Ship of Magic va au-delà en s’intéressant très précisément à tous les membres de la famille Vestrit.

C’est Ronica, la femme du patriarche décédé, qui doit combattre à la fois la douleur de son veuvage et les difficultés des responsabilités multipliées par la disparition de son mari. C’est Althéa, la cadette, convaincue que la Vivacia lui revient de droit en dépit du choix final de son père. C’est aussi Keffria, l’aînée, femme soumise à son mari, Kyle Havre, lui-même sachant profiter de la situation grâce à son orgueil démesuré. Cet orgueil se retrouve également chez Malta, la fille de Kyle et Keffria qui ne rend que plus difficile une situation déjà laborieuse. C’est enfin Hiémain, frère de Malta, qui se retrouve contre son gré à bord de la Vivacia pour prêter main forte à son père, incapable de communiquer avec le vaisseau, et donc de le commander correctement.

La Vivacia, et ses congénères, sont d’ailleurs bien le personnage principal de ce premier tome des aventuriers de la mer. Ce sont même les vivenefs, avec les serpents de mer, qui donnent une dimension "Fantasy" à une oeuvre qui ne serait sans eux qu’un roman d’aventure et de piraterie. Car Robin Hobb sait ne pas abuser des artifices du genre et c’est à petites touches délicates qu’elle nous plonge dans un univers totalement imaginaire, parfaitement construit et passionnant.

Ship of Magic est donc un roman extrêmement bien écrit. Il est également très original, en tout cas dans le champ de la Fantasy. Le seul reproche que je lui ferais est qu’il se termine abruptement, nous rappelant par-là, s’il est besoin, qu’il existe une suite dont la publication en France, probablement en trois tomes, vient à peine de commencer.

NB : Les aventuriers de la mer se déroule dans le même univers que L’assassin Royal, loin au sud-ouest des Six-Duchés plus précisément. Si les deux oeuvres peuvent se lire parfaitement indépendamment, il faut savoir que l’intrigue des aventuriers de la mer est dévoilée dans la suite directe de L’assassin royal, The Tawny Man, dont la publication française est aujourd’hui plus avancée que celle de The Liveship Traders…

Extraits :

1- Brashen s’éveilla avec les yeux collés et un torticolis. Le soleil du matin se déversait par les fenêtres en saillie qui prenaient toute une extrémité de la cabine ; c’était une lumière glauque, brouillée par les algues qui recouvraient l’extérieur des vitres, mais de la lumière néanmoins, assez forte pour signaler à l’homme que le jour était levé et qu’il était temps d’en faire autant.
Il descendit de son hamac. Des remords… Il avait des remords… D’avoir dépensé toute sa paye après s’être juré de faire plus attention cette fois ?
Certes mais c’était habituel ; il y avait autre chose, aux dents plus tranchantes.
Ah oui ! Althéa ! Elle était présente la veille et le suppliait de la conseiller, ou alors il avait rêvé d’elle, et il lui avait donné ses conseils les plus amers, sans un mot d’espérance ni la moindre proposition d’aide. Il essaya de chasser ce souci de son esprit. Après tout, que devait-il à cette gamine ? Rien, rien du tout. Ils n’étaient même pas vraiment amis. Le fossé social entre eux était trop grand. Il était simple second sur le navire de son père, tandis qu’elle était la fille du capitaine ; l’amitié n’avait pas sa place dans cette relation. Quant au vieux, ma foi, oui, Ephron Vestrit lui avait donné un bon coup de main, il lui avait offert l’occasion de prouver sa valeur alors que personne d’autre ne voulait rien entendre, mais il était mort, à présent, et il n’y avait plus qu’à tirer l’échelle.
En outre, aussi amers qu’aient pu être ses conseils, ils étaient parfaitement exacts : si Brashen avait pu remonter le temps, il ne se serait jamais disputé avec son père ; il aurait poursuivi ses interminables études, il se serait soumis à ses fonctions sociales, il se serait tenu à l’écart de la boisson et de la cindine, il aurait épousé celle qu’on aurait choisie pour lui, et il serait aujourd’hui l’héritier de la fortune Trell à la place de son frère cadet.
Cette pensée lui rappela que rien de tout cela ne s’était réalisé, qu’il avait dépensé la veille ce qui lui restait d’argent, à part quelques pièces, et qu’il ferait mieux de s’inquiéter de son propre sort plutôt que de celui d’Althéa. Il faudrait qu’elle se prenne seule en charge. Elle devait rentrer chez elle, voilà tout. Quel était le pire qui pouvait lui arriver, de toute façon ? On la marierait à un homme convenable, elle vivrait dans un logis confortable avec des domestiques et de bons repas, elle porterait des vêtements taillés sur mesure et elle participerait à la ronde infinie de bals, de thés et de réceptions, apparemment essentiels à la société de Terrilville en général et à celle des Marchands en particulier. Il émit un discret grognement de mépris : lui-même aurait aimé qu’un sort aussi cruel lui soit réservé. Il se gratta la poitrine, puis la barbe ; il se passa les deux mains dans les cheveux pour les aplatir et les écarter de son visage. Il était temps de trouver du travail, et donc de faire un brin de toilette puis de se rendre sur les quais.
"Bonne matinée !" lança-t-il à Parangon en contournant la proue du navire.
La figure de proue paraissait éternellement mal à son aise, fixée qu’elle était à l’avant du bâtiment fortement incliné. Brashen se demanda soudain si elle avait des douleurs dans le dos, mais il n’eut pas le courage de poser la question. Ses bras musculeux croisés sur sa poitrine nue, Parangon faisait face aux eaux scintillantes sur lesquelles d’autres bateaux entraient dans le port et en sortaient.
Il ne se tourna même pas vers Brashen. "Après-midi, le corrigea-t-il.
- En effet, répondit le jeune homme. Et il est donc plus que temps que j’aille sur les quais. Il faut que je cherche un nouveau boulot.
- Je ne pense pas qu’elle soit rentrée chez elle, déclara Parangon. Sinon, elle aurait suivi le même chemin qu’autrefois, par les falaises et à travers le bois ; mais, après m’avoir dit au revoir, je l’ai entendue s’éloigner sur la plage en direction de la ville.
- Althéa, tu veux dire ?" fit Brashen en s’efforçant de prendre un ton détaché.
La figure de proue aveugle hocha la tête. "Elle s’est levée dès l’aube." On eût presque dit un reproche. "Je venais d’entendre le premier chant des oiseaux quand elle s’est réveillée et qu’elle est sortie. Elle n’avait d’ailleurs pas beaucoup dormi cette nuit."

2- Enfant, Hiémain avait appris une chanson sur les blanches rues de Jamaillia qui brillaient sous le soleil, et il se surprit à la fredonner en avançant à pas pressés dans une venelle jonchée de débris. De part et d’autre se dressaient de hauts bâtiments en bois qui cachaient le soleil et canalisaient le vent marin. Il avait eu beau la protéger, sa robe de prêtre avait pris l’humidité et la bure mouillée lui irritait les jambes à chaque pas. La journée d’hiver était d’une douceur inhabituelle, même pour Jamaillia, et il n’avait pas vraiment froid : dès que sa robe aurait séché, tout irait bien. Une telle couche de corne s’était formée sous ses pieds à bord du navire que même les tessons de vaisselle et les éclats de bois qui traînaient dans la ruelle ne le gênaient pas. C’étaient là des détails dont il devait tirer la leçon : ne pas penser aux grondements de son ventre vide et se réjouir de ne pas avoir trop froid.
Et songer qu’il était libre.
Il n’avait pris conscience du poids de son enfermement qu’au moment où il avait mis le pied sur la grève. Avant même qu’il se fût essuyé tant bien que mal et eût enfilé sa robe, il avait senti son cœur s’alléger. Libre ! Il se trouvait à bien des jours de trajet de son monastère et il ignorait par quel moyen s’y rendre, mais il était décidé à y parvenir. Avoir relevé le défi faisait chanter son âme ; même s’il échouait, même s’il se faisait reprendre ou qu’il lui arrivât quelque autre malheur en chemin, il avait accepté la force de Sa et il avait agi. Peu importait son sort après cela, il avait acquis cette certitude : il n’était pas un lâche.
Il se l’était enfin prouvé.


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