Des milliards de tapis de cheveux

ESCHBACH Andreas

Article publié le vendredi 28 décembre 2007 par Cyrallen

Quatrième de couverture :

Nœud après nœud, jour après jour, toute une vie durant, ses mains répétaient les mêmes gestes, nouant et renouant sans cesse les fins cheveux, comme son père et le père de son père l’avaient fait avant lui…

N’est-ce pas étrange qu’un monde entier s’adonne ainsi au tissage de tapis en cheveux ? L’objet en est, dit-on, d’orner le Palais des Étoiles, le demeure de l’Empereur. Mais qu’en est-il de l’Empereur lui-même ? _ N’entend-on pas qu’il aurait abdiqué ? qu’il serait mort, abattu par des rebelles ?

Comment cela serait-il possible ? Le soleil brillerait-il sans lui ? Les étoiles luiraient-elles au firmament ?

L’Empereur, les rebelles, des milliards de tapis de cheveux ; il est long le chemin qui mène à la vérité, de la cité de Yahannochia au Palais des Étoiles, et jusqu’au Palais des Larmes sur un monde oublié…

Né en 1959, Andreas Eschbach est la figure de proue de la science-fiction allemande. Voici son premier livre traduit.

L’avis de Cyrallen :

La Guilde des tisseurs ainsi que les marchands de tapis en cheveux, tapis représentants chacun l’œuvre de toute une vie de labeur et de privations pour chaque tisseur et sa famille, pourraient-ils survivre à la venue de cet étrange hérétique qui possède sur lui une photographie de l’Empereur, LEUR Empereur ALeksandr XI régnant depuis plusieurs millénaires sur l’ensemble de l’univers habité, mort et pendu par les pieds ?

Mais pourquoi donc a t’il fallu que ce Nillian Jegetar Cuain décide d’atterrir, seul et contre l’avis du Conseil des rebelles, sur cette misérable planète dont les habitants ne cessent de tisser obstinément des tapis en cheveux humains pour un Empereur-tyran défunt depuis 20 ans maintenant ? Le Conseil rebelle n’avait vraiment pas besoin de ça, au moment où la construction d’un nouvel ordre universel requière justement toute son attention.

L’obstination avec laquelle les tisseurs se cramponnent à leurs traditions, aussi cruelles soient-elles (une vie entière consacrée à un seul tapis ; la présence d’un seul enfant mâle par famille, les autres étant assassinés ; la prise de concubines de couleur de cheveux différente de celles de sa première femme…) force l’étonnement et va même au-delà.

Étant construit comme une succession de nouvelles se situant dans le même univers, chacun des chapitres du roman apporte un complément à l’univers décrit et une vision différente de la situation, personnage par personnage ou suivant des corps de métier. Une sombre histoire de pouvoir, très bien écrite, aux causes machiavéliques insoupçonnables et dont les dernières pages détiennent la clé…

A noter que Des milliards de tapis de cheveux a gagné le grand prix de l’Imaginaire 2001.

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L’avis de Philémont :

Ce qui caractérise la planète G-101/2 ce sont les tapis de cheveux. Tissés manuellement par des hommes avec les cheveux de leurs femmes et filles, le travail est si méticuleux qu’un seul tisserand ne peut fabriquer qu’un unique tapis dans sa vie. Mais la vente de celui-ci aux représentants de l’Empereur assurera l’avenir de son héritier et de sa famille. Il en va ainsi de génération en génération, alors même que la vie de l’Empereur est remise discrètement en question…

Tel est le thème central du premier roman d’Andreas Eschbach. C’est donc un thème on ne peut plus original, couplé de surcroît à une technique narrative pour le moins inattendue, ainsi qu’à un style très agréable. Chacun des 17 chapitres est dédié à un ou deux personnages, sans liens directs entre eux, si ce n’est les fameux tapis de cheveux. Et c’est ainsi que l’auteur construit petit à petit son intrigue, jusqu’au dénouement final et à l’épilogue qui nous ramène en partie au premier chapitre. On peut encore ajouter à cette originalité le fait qu’Andreas Eschbach écrit très bien et qu’il sait insuffler au lecteur les émotions vécues par ses personnages.

Toutefois, le fait que l’on ne s’attache pas particulièrement à un ou plusieurs personnages est regrettable. L’oeuvre se lit en effet plus comme une succession de plusieurs nouvelles que comme un roman à part entière. Cela donne une impression de manque d’unité et l’on ne peut s’empêcher de regretter de ne pas savoir ce que sont devenus certains personnages, comme le jeune flûtiste ou le fameux Nillian. Ces défauts sont toutefois mineurs par rapport à l’originalité de l’oeuvre. Et il faut saluer la qualité de cette première oeuvre.

Extraits :

1- Qui donc avait jamais vu l’Empereur ? On ne savait même pas où il vivait ; on savait seulement que ce devait être sur une planète très, très éloignée. Bien sûr, il y avait les photographies, et le visage de l’Empereur était plus familier à chacun que celui de ses propres parents. On racontait que l’Empereur était immortel, qu’il vivait et régnait sur l’humanité toute entière depuis la nuit des temps… On disait tant de choses, mais on n’était sûr de rien. Si l’on se laissait aller à douter, ne serait-ce qu’une fois, on se trouvait entraîné dans un cercle infernal dont on ne pouvait plus sortir.

2- "Mais qu’est-ce que vous croyez ? A votre avis, pourquoi tous, aux quatre coins du monde, consacrons-nous tous nos efforts et toute notre vie à tisser les tapis en cheveux ? Pensez-vous réellement que ce soit juste pour éviter à notre Empereur d’avoir à fouler de son pied la pierre nue ? D’autres artifices feraient aussi bien l’affaire. Non, tout cela, tous ces rites ne sont rien d’autre que des présents que notre Empereur a la bonté de nous offrir (…) pour éviter que nous ne nous égarions loin de lui et que nous ne courions à notre perte. A chaque cheveux qu’un tisseur choisit et noue, il garde ceci présent à l’esprit : J’appartiens à l’Empereur. Et vous tous, pâtres, agriculteurs, artisans, vous rendez possible le travail des tisseurs. Vous êtes aussi autorisés à vous répéter, à chaque geste que vous faites : J’appartiens à l’Empereur. Ce que je fais, je le fais pour l’Empereur."

3- Il fut absolument sidéré de constater que ces livres, qui provenaient de trois mondes différents, mentionnaient tous l’existence des tisseurs de tapis en cheveux. (…) Il s’était mis à faire les comptes. (…) Rien qu’à Yahannochia et dans ses alentours vivaient environ trois cents tisseurs. _ Combien d’autres villes similaires pouvaient bien exister ? Il l’ignorait, mais ses estimations les plus timorées laissaient présager un nombre absolument phénoménal de tapis qui étaient chaque année convoyés par les marchands jusqu’à la ville portuaire, et de là transmis aux vaisseaux impériaux. (…) Quelles dimensions pouvait bien avoir ce palais impérial pour que la production d’une planète entière ne puisse suffire à le couvrir de tapis ? (…) Et qui savait combien d’autres planètes il pouvait encore exister ?…


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