Étoiles mourantes

DUNYACH Jean-Claude

Article publié le mercredi 26 décembre 2007 par Cyrallen

Quatrième de couverture :

"Nous regardons les autres rameaux comme s’ils étaient des blocs uniformes, au lieu de considérer chacun de leurs membres (…). C’est une forme de racisme aussi primaire, méprisante et vicieuse que celle que le Mécanisme enseigne à chaque enfant mécaniste. Il est grand temps de s’apercevoir que ce qui divise les Rameaux tient moins de leurs différences que de leurs similitudes, dont le racisme et l’autosatisfaction sont les pires exemples."

Quand les AnimauxVilles ont surgi dans le système solaire pour héberger les humains, ils leur ont aussi permis le voyage instantané. Alors l’humanité s’est scindée en quatre Rameaux : autant de cultures, autant de modes de vie, autant de systèmes politiques qui se méprisent faute de pouvoir se faire la guerre.

Aujourd’hui, l’heure des retrouvailles a sonné : les AnimauxVilles ont décidé de convoyer des représentants de chaque Rameau pour assister à l’explosion d’une supernova…

Si Étoiles mourantes explore les bouleversements nés des progrès technologiques et scientifiques de notre fin de siècle, si ce vaste roman rend hommage au merveilleux scientifique propre aux amateurs de science-fiction, le propos de ses auteurs est avant tout résolument universel, et humaniste.

Lauréats à eux deux d’une douzaine de prix littéraires, Jean-Claude Dunyach et Ayerdhal se sont découverts par leurs oeuvres respectives, chacun fasciné par les univers que l’autre mettait en scène. Ils n’ont eu qu’à se rencontrer pour décider de mettre en commun leurs connaissances et leur imaginaire. Il leur a fallu quatre ans pour écrire et réécrire Étoiles mourantes, un livre-univers qui, de leur propre aveu, les dépasse tous deux.

L’avis de Cyrallen :

Comme expliqué dans le quatrième de couverture, l’humanité s’est scindée en quatre "Rameaux", puis dispersée sur la toile de l’univers. Les distances faramineuses ne peuvent pour l’instant être traversées que grâce aux "AnimauxVilles", des organismes intelligents de la taille de mégalopoles pouvant héberger des humains et étant capables de replier la trame de l’univers pour voyager dans l’espace.

Les Rameaux survivants sont au nombre de quatre : il y a les Mécanistes, guerriers dotés d’armures intelligentes ; les Originels qui font parler les morts et possèdent un tyran, le Charon, à la tête de la vieille planète Terre ; les Connectés devenus autant dépendants de l’information et des réseaux que de l’air qu’ils respirent ; et enfin les Organiques capables de modifier leur corps en fonction de leurs besoins grâce à une symbiose avec un parasite.

Au commencement du roman, le lecteur est jeté dans la rudesse du Rameau des Mécanistes, avec ses particularités politiques et son système hiérarchique sans failles (et pour cause…). Au début, on cherche les similarités avec d’autres systèmes rencontrés en SF qui font intervenir des castes, puis lorsqu’on connaît un peu mieux Tecamac le jeune mécaniste, on s’attend à l’apparition d’une sorte de messie du Rameau des Mécanistes. Erreur. Il n’y a pas un point-clé du roman, un instant où on se dit : ça y est, l’histoire tourne autour de ce sujet/problème, je vais pouvoir tenter de deviner la suite des évènements. Eh bien non. Il n’y a pas UN thème, mais DES thèmes, tous imbriqués entre eux et formant un panorama qui interdit de suivre une unique idée. Les évènements et les histoires parallèles sont très différentes et en même temps très liées et interdépendantes, puisque les Rameaux sont appelés à se regrouper (les Retrouvailles) pour assister à l’explosion d’une supernova, la mort d’une étoile.

Les sociétés décrites pour chaque Rameau sont franchement différentes (tyrannie pour les Originels, oligarchie patriarcale pour les Mécanistes, Démocratie pour les Connectés et Anarchie pour les Organiques), les capacités et découvertes technologiques ou organiques sont également propres à chaque Rameau, et pourtant il transparaît une certaine unicité, des préoccupations communes à tous (dont la question de la mémoire et de la mort).

D’excellentes idées mélangeant plusieurs styles et idées de SF, plutôt cyberpunk pour les Connectés, plutôt dans la lignée des romans "biologiques" (Bear, Benford) pour les Organiques, ressemblances entre les passeurs des morts des Originels et les péripéties d’Ender dans La voix des morts de Card, similitudes du déplacement dans l’espace des AnimauxVilles avec le repliement de l’espace des vaisseaux Tleilaxu de Dune, ou même la grande Dispersion de l’humanité dans l’univers pour sa propre sauvegarde, toujours dans Dune. Mélangeant tous ces éléments avec bonheur, Étoiles mourantes peut être vue comme une mosaïque de genres rencontrés en science-fiction, exploités pour construire une trame qui les regroupe et les met en scène de façon réussie.

Certains passages sont assez peu ragoûtants (noyade, au sens propre, dans des flots de sang comme si on y était par exemple…) mais ils ne font qu’accentuer l’existence des AnimauxVilles, formidable invention des auteurs. Les termes scientifiques sont relativement nombreux, que les allergiques à toute forme de science en littérature SF soient prévenus (n’exagérons rien, ce n’est tout de même pas de la hard science-fiction !).

C’est sans doute l’humanité partagée par tous et la complémentarité des talents entre individus qu’ont voulu faire ressortir Ayerdhal et Dunyach dans ce livre-univers bien écrit, passionnant par moments, qui en tout cas ne laisse pas indifférent. Un très bon space-opéra, avec ses propres mécanismes et dont on ne se lasse pas une seule seconde.

Extraits :

1- Ici, je peux couler heureux des centaines de millénaires, des milliers certainement. Je vous verrai peut-être mourir, comme meurent les "créatures", comme j’en ai du d’autres se détruire, et je vous pleurerai ainsi que je pleure chacun d’entre vous, ou je m’intégrerai avant dans l’entropie de ce système. Vous ne pouvez pas en avoir conscience, pourtant, si vous saviez à quel point je vous ressemble, à quel point je suis devenu humain… enfin… probablement pas humain, mais autre chose, comme vous autres, Symbiotes, êtes devenus autre chose, comme les Mécanistes et leurs armures, les Connectés et leur Réseau, les Originels et leur personae, les… Érythrée, nous sommes les virus épars et grouillant, aussi dissemblables que possible, qui constituent la part organique d’une seule et même entité. Nous l’appelons Ban, vous l’appelez univers. Nous y voyons des configurations que nous jouons à déformer. Vous y voyez des règles que vous défiez. Alors, aussi insignifiants sommes-nous, les structures du Ban changent et l’univers se modifie. Si tu le souhaites, je te transduirai vers la supernova et tu me raconteras ce que tu as vu.

2- Les AnimauxVilles et tous les Rameaux humains constituaient l’intelligence du Ban. (…) Tachine pouvait répéter, à s’en assécher la salive, que la ramification avait sauvé l’espèce humaine d’un holocauste, ce n’était qu’un des aspects du problème. En tuant la diversité, en cloisonnant le développement, en verrouillant les divergences, la ramification avait inventé la mutuelle exclusion, le principe d’inconnaissance débouchant su la xénophobie la plus primaire. En s’emprisonnant derrière leurs propres frontières, en s’internant dans leurs seules raisons, en se nourrissant uniquement de subjectivité, les rameaux s’offraient l’autodestruction pour alternative à la destruction réciproque.
L’Anarchie Artefactrice en était à ce stade. Elle n’était pas décadente, elle avait consommé sa décadence et ne survivait plus que par catabolisme. Par nature, elle ne pouvait recourir ni à la destruction, ni au suicide collectif. Elle s’abandonnait donc individuellement aux embiotes.
Nul doute que, au même point, les Mécanistes optassent pour la guerre, les Connectés pour le grand saut métaphysique universel. Il y avait longtemps que les Originels, eux, avaient choisi de se réincarner en fantômes.

3- Les premières Retrouvailles avaient plus été un bide qu’un échec, s’il fallait en croire les archives (information confirmée). Les souvenirs de la guerre ayant entraîné la Dispersion étaient trop vivaces dans l’esprit de ceux qui s’étaient retrouvés autour de la naine blanche. Seule réelle proposition de la rencontre, suggérée par les Symbiases, avait été purement et simplement ignorée.

4- Quand tout se ressemble, plus rien n’existe.

5- Je me demande parfois ce que serait une vie de Ville si elle était aussi foudroyante que les vôtres. Car ce qui est inconcevable pour nous, c’est la vitesse à laquelle vous consumez non pas vos existences mais ce qui leur donne une sens. L’entourage, l’environnement, la mémoire, les certitudes… Les certitudes ! Combien de fois me suis-je retrouvé perplexe, démuni, stupide face à votre art de la certitude ? Vous consacrez vos vies à composer des certitudes pour vous-mêmes et pour vos semblables. Vous courez après, vous les conservez jalousement, vous vous les échangez, vous les vendez, vous vous affrontez pour elles et vous les oubliez ou vous les jetez sans état d’âme. Sincèrement, en une vie, depuis celles rebelles de l’adolescence jusqu’à celles réactionnaires de la sénescence, en passant par toutes les convictions de contagion nées du fait établi, pour combien de certitudes différentes et contradictoires vous damnez-vous ? C’est inimaginable !
Mais mon propos n’est pas de digresser sur mon ignorance et sur l’incompréhension qu’elle engendre. Il n’est même pas de vous parler de la Dispersion. La Dispersion comme les ségrégations qui l’ont motivée et qui perdurent vous appartiennent, vous en faites ce que vous voulez. Je veux juste attirer votre attention sur l’évènement qui marquera ces Retrouvailles comme un évènement similaire a déjà marqué les précédentes. La mort d’une étoile.
Cette fin représente à la fois l’extinction d’une vois dans le chœur de l’univers et le tarissement d’une source de vie. Autant de métaphores, autant de symboles qui sont aussi loin de vos préoccupations que nous nous sommes éloignés d’eaux. Car nous avons déjà oublié ce que vous n’avez pas encore découvert. L’univers est un écosystème, aussi instable et fragile qu’un biotope planétaire. Il évolue perpétuellement. Vous diriez que les lois de la physique qui le définissent changent. Nous dirions que la trame qui le constitue se déforme.


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